Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler | Symphonie en ré mineur n°3
Orchestre Philharmonique de Strasbourg dirigé par Marc Albrecht

Palais de la musique et des congrès, Strasbourg
- 2 octobre 2009
Gustav Mahler (1869-1911), dont l'OPS joue la Troisième Symphonie
© dr

Après un premier concert d’automne résolument placé sous le signe des modernes [lire notre chronique du 21 septembre 2009], dans le cadre du festival Musica, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg ouvre officiellement sa saison avec un compositeur qu’il honore régulièrement : Gustav Mahler. Si, de tout temps, l’OPS joue souvent le répertoire d’outre-Rhin, ce qui n’exclut en rien le fait qu’il donne aussi beaucoup de musique française, trois années passées avec Marc Albrecht ne dérogèrent pas à cette tradition. Ainsi se poursuit ce qui fut engagé de longue date, en mettant à l’affiche Kraus, Mozart, Beethoven, Weber, Schubert, Mendelssohn, Brahms, Schumann, Mahler, Strauss, Hindemith, Schulhoff et Korngold.

Avant d’évoquer l’exécution de la Symphonie en ré mineur n°3 que l’auteur considérait lui-même comme « inhabituelle et difficile » (in Correspondance Mahler-Strauss 1888-1911), il sera bon de rappeler ces quelques mots de Mahler :
« Dans les œuvres les plus accomplies comme dans les plus plates, la musique redevient toujours homophonique. Pour ce qui est de la polyphonie, le maître suprême est Bach car, chez lui, tout est polyphonie. Le fondateur, l’inventeur de la polyphonie moderne est Beethoven. Quant à Wagner, il n’est réellement polyphonique que dans Tristan und Isolde et Die Meistersinger von Nürnberg […]. Dans toute polyphonie véritable, les thèmes se déroulent librement, côte à côte, chacun avec leur énergie et leur but particuliers, le plus contrasté possible l’un par rapport à l’autre, afin que l’on puisse toujours les entendre individuellement ».

Si l’on salue d’emblée la vaillance des cuivres strasbourgeois que n’égale à ce jour aucun autre orchestre de nos régions, la lecture de Marc Albrecht paraît ne répondre guère aux attentes du Viennois. Après un début de premier mouvement vif-argent, d’une austérité rugueuse parfaitement expressionniste où il prend nettement plus de risque qu’il y a quatre ans avec la Résurrection [lire notre chronique du 29 septembre 2005] le chef semble perdre la cohérence de propos, cohérence certes des plus fragiles dans la superposition d’un chant, étiré jusqu’au masque, à plusieurs marches militaro-funèbres dont le grotesque avoué fécondera plus tard Chostakovitch. Comme « décomposé », osera-t-on dire, le résultat s’avère régi par des choix maladroits, omettant bois et cordes dans le savant poulailler mahlérien.

De même est-on déçu par un Menuet exagérément « guimauvesque ». Exemplaires, les musiciens suivent scrupuleusement et fidèlement le chef jusqu’en ses moindres intentions. Or, c’est justement l’intention qui pèche, tournant je ne sais quelle barbe à papa à une baguette qui s’oublie quelque peu. Sonorité, geste et style tendent à s’équilibrer dans un troisième mouvement dont le trait n’est plus forcé. Hanne Fischer fait une entrée porteuse d’émotion dans le quatrième (Sehr Langsam. Misterioso. Durchaus ppp), bien que la ligne vocale demeure assez courte. Le Chœur de femmes de l’OPS (préparé par Catherine Bolzinger) offre un cinquième épisode sensiblement nuancé, secondé par l’irréprochable Maîtrise de garçons de Colmar (dirigée par Arlette Steyer), remarquablement juste, comme le sont rarement les enfants.

Ayant adroitement évité de sombrer dans l’enthousiasme « hop-là-boum »qui souvent piège les chefs à la fin de la pénultième partie, Marc Albrecht mène superbement l’ultime Langsam jusqu’au tragique paroxystique. Rien, cette fois, ne renoue avec le sirop du Menuet ; au contraire, l’interprétation, rigoureuse et inspirée, est finement menée, soignant la couleur sans la rendre trop soyeuse, conduisant adroitement le lyrisme. Nous voilà réconciliés.

BB