Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustavo Dudamel et Maesha Brueggergosman, le feu !
Strauss et Mahler par les Göteborgs Symfoniker

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 4 juin 2007
Gustavo Dudamel fait flamboyer la Ciquième de Mahler à Saint-Denis
© dan porges

Peut-être le lecteur s’en souviendra-t-il ? Il y a deux ans, nous découvrions à Verbier un très jeune chef d’orchestre, venu remplacer Esa-Pekka Salonen [lire notre chronique du 30 juillet 2005]. Né en janvier 1981 dans le nord du Venezuela, Gustavo Dudamel, après des premiers pas guidés par José Antonio Abreu dans le cadre de la très respectable Fundación del Estado para el Sistema Nacional de Orquestas y Coros Juveniles e Infantiles de Venezuela, pris pour la première fois la baguette à treize ans. Depuis, bien des expériences et des rencontres ont développé une carrière déjà impressionnante, puisqu’en étant le « patron »de l’Orquesta Juvenil Simón Bolívar depuis 1999, il est aussi celui des Göteborgs Symfoniker, et qu’en avril dernier, le Los Angeles Philharmonic l’annonçait officiellement prochain directeur musical, succédant à Salonen pour l’été 2009.

C’est à la tête de la formation suédoise que le musicien entreprend une brève tournée qui le menait jeudi dernier à Stockholm, à Londres samedi, enfin au Festival de Saint-Denis, ce soir, avec un programme Strauss et Mahler.

Nous retrouvons donc avec plaisir l’extrême précision de la battue sans faille de Gustavo Dudamel dans les Vier letzte Lieder de Richard Strauss. Dès Frühling, l’équilibre des pupitres est minutieux, jaugeant prudemment l’acoustique particulière de la Basilique, ce qui ne circonscrit pas pour autant le bel élan lyrique qui s’épanche à la fin de la seconde strophe de September. Dans Beim Schlafengehen, le chef ne traîne pas, trouvant son expressivité principalement dans la profondeur de la couleur, travaillée comme le fond d’un maître ancien, d’où sourd au final un solo de violon discrètement intrusif. C’est d’un souffle qui paraît inépuisable jusqu’aux dernières cendres d’Im Abendrot qu’il accompagne le soprano Maesha Brueggergosman dont surprend la richesse du grave, de même que la facilité du phrasé, parfois opulent. Si l’on constate des tenues qui vont parfois se durcissant, le chant flamboie généreusement, notamment dans la dernière séquence de Frühling.

Des quatre mélodies, la seconde posera quelques soucis à la chanteuse dont la respiration semble alors moins naturelle. La lumière de l’aigu est indéniable, sa souplesse également, mais le médium n’est pas de la même fibre. Cela ne ternit pas la belle plénitude que rencontre la troisième strophe de Beim Schlafengehen, un poème que l’artiste investit sans compter. Outre la savante demi-teinte qu’elle ménage aux abords d’Im Abendrot, on goûtera le velours qui amène l’ultime question – énigmatique So tief im Abendrot –, la reconnaissance de la mort s’accomplissant dans une troublante extinction où l’intelligence et la sensibilité de Maesha Brueggergosman nient le possible vibrato. Un long et bon silence couronne l’interprétation avant que le public frappe dans les mains.

Avec une fermeté indéniable, Gustavo Dudamel ordonne la première salve de la Cinquième de Gustav Mahler, la resserrant bientôt jusqu’à souligner l’assise grave qui suit, rendue presque monstrueuse par l’acoustique dont il joue sans vergogne. Le début apocalyptique de la Trauermarsch trouve ensuite écho dans une approche volontiers surcontrastée, toujours vif-argent, qui n’a peur de rien. La prudence rencontrée il y a deux ans dans L’oiseau de feu n’est plus de mise : Dudamel affirme l’accentuation comme autant de déflagrations terribles, tient son monde d’une main de fer tout en secouant irrésistiblement la moindre baisse de régime, bondissant d’événements en ruptures, avec une bonne humeur communicative qui mord chaque trait à pleines dents. Le deuxième mouvement se meut dans la pâte des cordes comme l’on célèbre une orgie, avec une tonicité increvable. Le douloureux motif de violoncelles sèche alors l’écoute comme une soif. Le Scherzo est biscornu à souhait, sans se soucier jamais d’élégance ou de « vieilleries » de ce genre ! Sans répit, la musique persécute et malmène dans cette interprétation éprouvante. Pourtant, l’Adagietto, pris dans une graisse qui méritait une autre gaine, s’avère trop appuyé pour émouvoir. Qu’à cela ne tienne : la vigueur du Rondo-Finale l’emporte dans une indicible frénésie.

Avec cette décoiffante exécution, Gustavo Dudamel a peut-être actualisé le scandalede cette musique en nous permettant d’appréhender ce qui put effrayer le public de 1904, soit ce qu’Hirschfeld le Venimeux désigna par le vilain terme d’« anomalies de l’esprit » et dont on ne s’étonnait plus, après qu’une certaine orthodoxie interprétative. On ne peut que s’en réjouir.

BB