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Chroniques
Gustavo Dudamel joue les symphonies de Brahms
Orchestre Philharmonique de Radio France
Que nous n’entendions guère Brahms, il fallait que cela soit dit d’entrée. Le goût ne nous est pas encore venu, ou peut-être l’oreille, de ses sévères afféteries (la gravité très-sérieuse du propos), sa sentimentalité soigneusement corsetée dans l’horizon bien poli de la forme. On ne s’étonnera donc pas de nous entendre avouer un certain ennui devant des symphonies jouant sans cesse à imiter l’ethos romantique, tout en en refusant la démesure fondamentale – mais nous ne réincarnons là qu’une critique contemporaine du compositeur. Plus intéressant à noter, pourtant : l’interprétation des deux symphonies que, sous la direction de Gustavo Dudamel, l’Orchestre Philharmonique de Radio France donne ce soir, nous a retenu plus d’une fois, et nous a peut-être permis de saisir une ou deux choses de notre incompréhension même.
D’une aimable sobriété orchestrale, la Symphonie en fa majeur Op.90 n°3 déplie le thème de son premier mouvement, Allegro con brio, dans une joie protestante pleine de joliesse. L’imagination mélodique est à l’honneur, malgré le manque de netteté de bien des attaques. On entendra toujours les cordes jouer dans le gras de la note, au cœur du son, ce qui sied particulièrement à cet esprit de chœur d’hommes tranquillement posé qu’on trouve au mouvement suivant. De cet Andante, jamais excessif le chef vénézuélien construit un paysage labile où crescendos robustes et diminuendos mystérieux alternent avec de longs souffles asthmatiques entrecoupés de dissonances et d’exaltations quasi récitatives. Aussi célèbre que redoutable, le thème du Poco allegretto est donné sur un fil ténu, dans un équilibre assez instable entre plainte un peu vaine et vulgarité sans pathos mais non sans platitude. Si la rhétorique est claire et précise, on fait du sur-place ; la musicalité se perd, dans des pages selon nous archétypiques de la glu brahmsienne.
Quasi attacca, l’Allegro finale défait ces langueurs – saisissant contraste ! Dans un lyrisme toujours contenu, mais non sans une certaine brutalité qui sied à cet épisode, les sforzandos restent sobres et les fortissimi dessinent les paliers clairement détourés de la dynamique : tout cela est d’un beau classicisme, et comme enfin habité. Quelque chose d’un choral accueille les dernières mesures. La symphonie s’achève dans une lumière tempérée par une dernière attaque brouillonne – de façon générale, on regrette sur tout ce concert l’imprécision des vents, bois comme cuivres, lors des démarrages.
La Symphonie en ut mineur Op.68 n°1 fait l’objet d’une attention similaire : grand respect des matériaux thématiques jusque dans leurs variations, et tentative d’incarnation d’une musique qui s’y refuse. Gustavo Dudamel travaille par vastes à-plats dans la dynamique, créant de grandes nappes sonores, grands murs liquides. Mais décidément, nous peinons à nous installer dans cette musique pleine de sentiments plus que d’émotions – minauderies trop sérieuses, comme l’expression d’une contrainte mal assumée, ou mal métabolisée, dont nous aurions en retour à reprendre la digestion difficile. Malgré de robustes forte, une articulation souvent savoureuse, par exemple dans le finale, et le soin apporté à certains ponts fluides de l’Andante sostenuto, seul le troisième mouvement nous touche. Quelque chose de Bach, l’élégance d’une clarinette portée par la douceur vagabonde des violons, lèvent un rien de notre perplexité. À suivre, néanmoins à suivre, vendredi prochain (vendredi 20 avril) où seront joués les deux opus 73 et 98 de cette intégrale.
MD