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Chroniques
Gustavo Dudamel joue les symphonies de Brahms
Orchestre Philharmonique de Radio France
Le paysage est bucolique, en entrée de cette Symphonie en ré majeur Op.73 n°2. Certes, ici pas plus qu’ailleurs, on ne s’habitue aux attaques systématiquement imprécises de la petite harmonie. Pour autant, le mouvement parvient à s’appuyer sur les cordes tour à tour moelleuses ou sévères, et toujours fort homogènes, de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, ainsi que sur la qualité d’un concertino qui, une fois passé le désagrément des anacrouses, sait délivrer le pendant contrapuntique aux grandes nappes organiques qui font le tissu de la partition.
Dans un son très tiré, de façon parfois trop systématique peut-être, l’Adagio non troppo dessine alors les trajectoires d’un désir filant aux eaux des émotions bienheureuses. Quelque chose de rude aux bois peut faire craindre le loup ou l’oiseau Rokh, mais Gustavo Dudamel conserve au mouvement sa dignité et son intensité tendre.
Sur le lit quasi legato des violoncelles, le trio hautbois-basson-clarinette fait une ouverture pleine de joliesse au troisième mouvement. Précises, rapides, les cordes font un ourlet liquide à ce moment rêveur. L’élégance du mezzo forte séduit, et nous apprécions la lumière pleine d’humour des répons de pupitre à pupitre. Le retour des lenteurs initiales emmène en déliés solaires vers une aimable conclusion doucement vibrante de pizzicati alanguis.
L’Allegro (con spirito) rappelle Haydn et ses surprises.
Les contrastes sont marqués tout autant que le classicisme des cadences. L’interprétation est attentive aux dialogues et aux singularités des pupitres. Tout cela est plein d’élégance, d’humour et d’un solide engagement, bien plus incarné que ce que nous constations la semaine précédente [lire notre chronique du 14 avril 2012]. Certes, les forte restent un peu trop mafflus, mais ce sont les inconvénients – bien modestes – d’un placement en arrière-scène qui offre en revanche d’incontestables délices dès que le travail se fait plus chambriste, comme c’est ici souvent le cas. La coda (les, devrait-on dire) referme la symphonie dans une joie tout à fait réjouissante, traversée des rires communicatifs des tubas. Remarquable.
Moins convaincant, le premier mouvement de la Symphonie en mi mineur Op.98 n°4 offre cependant de beaux moments : danse élégante livrée dans une belle réserve et échos de quatuors. Le chef demande et obtient le creux de la note, donne à entendre les ruptures, mais parfois perd le son dans l’écrasement fortissimo du plan sonore. Les gammes modales orientalisantes de l’Andante moderato sont, en comparaison, d’une distinction racée, chorale parfois. Nous rêverions d’attaques plus moelleuses encore lors du passage du thème aux violons – mais l’élégie presque mahlérienne aux violoncelles amoureux inscrit le mouvement dans une grande noblesse sentimentale, malgré quelques tutti concédés à des aigus criards.
Le troisième mouvement entraîne irrésistiblement dans une musique où le chef, manifestement très à l’aise, se joue des changements rapides de focus de la partition, de ses explosions presque coruscantes suivies de fuites ludiques, de ponctuations amusées dans des rythmes marqués et de ponts harmoniques mystérieux et moqueurs. Tout est ici charnu, liquide, vibrant.
La grande Chaconne finale – thème et trente-cinq variations sur les huit notes de l’ostinato du chœur conclusif de la Cantate Nach Dir, Herr, verlaget mich BWV 150 de Johann Sebastian Bach – rencontre les quelques difficultés évoquées plus haut. Mais nous sommes tenus encore par la sobriété liminaire du propos, l’expressivité des pupitres et leur labilité chambriste dans la variété saisissante des ethos.
Au final, Gustavo Dudamel et l’Orchestre Philarmonique de Radio France auront donné un Brahms inventif, plus habité qu’au précédent concert mais requérant encore, selon nous, une meilleure précision des vents et un engagement plus marqué dans les mouvements moins contrastés. Toutes choses restant ouvertes, à l’issue d’une soirée des plus stimulantes.
MD