Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustavo Dudamel, le Viennois
Renaud Capuçon, Orchestre Philharmonique de Radio France

Salle Pleyel, Paris
- 26 juin 2009
le jeune chef vénézuélien Gustavo Dudamel photographié par Richard Reinsdorf
© richard reinsdorf

Il n’y a pas si longtemps, nous goûtions une Cinquième de Mahler qu’alors nous qualifiions de « flamboyante » : c’était à Saint-Denis, c’était l’Orchestre Symphonique de Göteborg, c’était la baguette qu’on dira irrésistible – d’impérative autorité comme d’invitation aimablement souple – du Vénézuélien Gustavo Dudamel [lire notre chronique du 4 juin 2007]. On retrouve le jeune chef dans un programme dont l’inscription dans le ferment viennois pourra s’avérer américainà plus d’un titre.

Renaud Capuçon ne se risque pas dans une « prise de rôle » en engageant son archet dans le Concerto pour violon en ré majeur Op.35 d’Erich Wolfgang Korngold qu’il a beaucoup joué ces derniers mois, et qu’il a même emporté en tournée avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg ; c’est dire s’il affectionne cette œuvre imaginée en 1945 pour Bronislaw Huberman, futur fondateur de la Philharmonie d’Israël, et finalement créée début 1947 par Jascha Heifetz, après que le compositeur, obéissant au célèbre violoniste, eût rendu plus complexe la partie soliste de l’Allegro conclusif. Si ce troisième mouvement sonne d’évidence comme le plus « hollywoodien » des trois, en se penchant plus précisément sur le matériau thématique des premiers l’on découvre que tous puisent dans les musiques conçues pour le cinéma. Ainsi Nicolas Derny recense-t-il des emprunts à Another Dawn et Juarez (films de William Dieterle, 1937 et 1939) dans le Moderato nobile initial, à Anthony Adverse (film de Marvyn LeRoy, 1936) dans l’Andante central, à The Prince and the Pauper (film de William Keighley, 1937) dans le Rondo finale – au même moment, Korngold écrit d’ailleurs son Concerto pour violoncelle en ut majeur Op.37 (créé quelques semaines avant l’opus 35) qui, lui, se concentre exclusivement sur sa musique, strictement contemporaine, pour Deception (film d’Irving Rapper, 1946).

Plutôt que d’abuser des riches effets de moires dont le musicien, reprenant à son compte ce qui fit les délices de Zemlinsky ou de Schreker, a jonché son orchestration, Gustavo Dudamel n’en souligne rien, les laissant subtilement filtrer comme naturellement dans le discours, sans surenchère. En revanche, Renaud Capuçon ne se lasse pas, et dès l’abord, d’alanguir un chant qui se pâme aux paupières vacillantes d’un rubato plus que complaisant. Le choix de la sonorité vient contredire ce sucre par une âpreté parfois excoriante, laissant accuser d’être peu justes les doubles-cordes et les résolutions elles-mêmes, toujours approximatives. Plus soigné dans la Romance (deuxième mouvement), son jeu répond aux gracieuses demi-teintes que cisèle l’Orchestre Philharmonique de Radio France par une inflexion un rien sirupeuse : celle de la partition, ni plus ni moins.

Celle du style de Korngold, tout simplement, qui lui valut, au lendemain de l’audition new-yorkaise, les vilains bons mots d’une critique méprisante. Parler de « concerto d’Hollywood », c’était oublier une certaine Vienne – celle d’Augarten et de ses « kitchissimes » figurines de porcelaine, celle des polichinelles du Prater (Der Schneemann, 1909) – en laquelle depuis toujours la facture du compositeur trouve en partie ses racines, entrelaçant la fantaisie centre-européenne à la tradition allemande dans l’insaisissable couleur de la populaire Leopoldstadt ombrée de souvenirs straussiens (Johann et Richard confondus). Aussi, du Prater à la colonie du bois de houx le pas n’est-il pas si grand qu’on le soupçonnerait. Et, à parler de ferment populaire, on s’étonnera moins d’entendre un possible refrain de fiddle dans l’ultime mouvement du Concerto Op.35 : Mark Twain situe son roman The Prince and the Pauper (1882) en Angleterre au XVIIe siècle et y confronte au monde des régnants les distractions de la misère.

Favorisant l’écoute du soliste, Dudamel circonscrit sagement la palette expressive de son interprétation. Si la démarche part d’un bon sentiment, imposé par une certaine contingence, l’on perd, dans cette approche qui paraît tiédie, un peu de contraste et, il faut bien le dire, beaucoup de vie.

Iconoclaste, dira-t-on peut-être de ce Korngold-là…
Ne vient-il pas, via Zemlinsky, d’un certain Gustav Mahler ? De fait, en un chemin qui sans cesse va du Lied à la symphonie, traversant fanfares, messes et fêtes juives, la facture mahlérienne ne lui est certes pas étrangère, de même qu’à sa manière elle annonce celle d’un discret assureur new-yorkais dont on commença de découvrir la musique au milieu des années quarante, c’est-à-dire au moment même où l’exilé achevait en Californie ses concerti.

C’est résolument cet aspect de la Symphonie en ré majeur n°1 que Gustavo Dudamel explore brillamment tout au long d’une exécution exaltante que rend possible la belle complicité des musiciens du Philhar’. Le geste du chef convoque comme aucun, par la fermeté de l’ordre comme par le charme de l’appel, de sorte qu’ici chacun donne le meilleur de lui-même pour, à travers son guide, servir la musique. Après un Langsam presque beethovénien dans ses éveils progressifs, Kräftig bewegt se montre des plus dynamiques, tandis que le Frère Jacques du troisième épisode fait comme jamais la grimace dans son jiddischball. Peut-on imaginer plus terrible Stürmisch bewegt, pour finir ? Le dernier mouvement ne gronde pas, il éclate et pourfend en un déchaînement qui n’a d’égal que l’habileté à faire tout sonner.

BB