Chroniques

par bertrand bolognesi

Halai et Musubi de Misato Mochizuki
SWR Vokalensemble Stuttgart

Festival d'Automne à Paris / Opéra national de Paris, Amphithéâtre Bastille
- 17 novembre 2010
la compositrice Misato Mochizuki photographiée par Jérémie Souteyrat
© jérémie souteyrat

Pour sûr, à confronter nos souvenirs de concerts choraux français, l'on fera rougir nos ensembles ! Tout donne à penser, en effet, qu'une vaste route demeure à parcourir avant que d'espérer apercevoir dans le paysage musical hexagonal des formations capables de prestations comparables à celle de ce soir – sans même oser parler de formations techniquement à jour avec le Südwestrundfunk Vokalensemble Stuttgart, par exemple.

Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, le chœur allemand offre un programme relativement diversifié, ouvert par les Quatre Lieder a cappella en dix versions écrits en 2006 par Heinz Holliger sur des poèmes en dialecte bernois de Kurt Marti. Cette œuvre fait croiser une parenté d'inspiration avec le répertoire choral d'un Othmar Schoeck, en d'autres temps, aussi bien dans une communauté de thématiques sociales que dans une certaine facture, plus traditionnelle qu'on l'attendrait du maître suisse. Qu'à cela ne tienne : l'occasion est rêvée de goûter la richesse expressive d'une exécution exemplaire, à la dynamique toujours idéalement dosée.

Regardant plus au sud s'enchaîne ¿Dónde estás hermano? imaginé en 1982 parLuigi Nono, huit ans après son impressionnant ouvrage lyrique Al gran sole carico d'amore [lire notre chronique du 9 mai 2004] et, comme ce dernier, humainement (plutôt que politiquement) engagé. L'écoute, une nouvelle fois, est immédiatement saisie par le suspens lapidaire de voix devenues purs instruments, jusqu'à la tant discrète qu'incroyable élévation de pensée de Nono. Difficile, après ces quelques cinq minutes bouleversantes, d'écouter autre chose… et pourtant, si Tempus destruendi-Tempus aedificandi de Luigi Dallapiccola ne mène, bien évidemment, pas si haut, la palette dont, en 1971, le compositeur italien usait en réponse à une commande pour Tel Aviv, fortement influencée par l'écriture chorale du Schönberg de Kol Nidre et, plus encore, de Moses und Aaron, retient l'écoute par un impact certain.

Nous abordons, pour finir, deux pièces de la compositrice japonaise Misato Mochizuki dont nous suivons le travail depuis quelques années [lire nos chroniques du 6 novembre 2004, du 27 août 2005, du 28 septembre 2005, du 21 septembre 2006, du 15 juin 2007 et du 18 octobre 2010, ainsi que le notre dossier Le fil blanc de la cascade publié en juin 2007]. Trois voix féminines conjuguent raclements gutturaux, souffles, soupirs, râles, jusqu'à peu à peu laisser sourdre le chant, dans une scansion obsédante pour ce rite de purification shintoïste annoncé comme tel qu'est Halai, créé en septembre 2009 à Amsterdam.

À ces trois minutes s'enchaîne par quasi superposition Musubi, donné en création mondiale, s'agissant d'une commande du SWR Vokalensemble Stuttgart. Pour Misato Mochizuki, fort imprégnée de sa culture d'origine, Musubi serait une « prière de gratitude » (cf. entretien avec Laurent Feneyrou), le lien entre les êtres, pas forcément ces grands êtres dotés de parole (cf. entretien avec Aude Lavigne) que nous pouvons aisément imaginer, mais aussi ces petits êtres présents partout, les insoupçonnables à habiter un verre, une table, peut-être un crayon, plus symboliquement. À l'inverse de son préambule, Musubi explore un lyrisme affirmé, franchement déployé pour les voix féminines, inversement tué dans l'œuf chez les hommes, dans l'omniprésente tension de la percussion. La délicatesse de la conception fascine d'emblée, absorbant bientôt jusqu'à nos réticences occidentales à perdre les habituels repères.

BB