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Hamadoun, les tribulations d'un métis du monde
opéra de Guy Reibel
Dans la carrière riche en projets de Guy Reibel (chercheur et enseignant avec Pierre Schaeffer, programmateur radiophonique ou encore créateur d'instruments-sculptures), la voix tient une place importante. Outre concevoir l'Atelier des Chœurs de Radio France ou encourager le jeu vocal, le compositeur a livré plus d'une œuvre chantée – Rumeurs (1968), Chanson de Geste (1972), Rabelais ou la Naissance du Verbe (1990), Calliphones (1995), etc. – dont les titres annoncent des réflexions récurrentes sur le langage. Une preuve supplémentaire nous est donnée avec Hamadoun, opéra d'un genre particulier qui se veut « une expérience à partir d'une parole vivante et non d'un livret ». Pour cette création, Guy Reibel exploite le récit de Hamadoun Dicko, filmé en juillet 2008 par Béatrice Heyligers, sur lequel se greffent les interventions musicales mises en scène par Frédéric Maragnani.
Citoyen français né musulman au Mali, membre de l'ethnie des Peuls, Hamadoun Dicko se destine à être premier marabout de la famille. À six ans et demi, il fréquente l'école coranique, lieu de soumission aux allures de chorale où le tout-petit assimile en répétant les versets récités par les plus grands. Quand vient l'obligation d'intégrer l'école coloniale, se devant d'être exemplaire, le garçon n'abandonne pas son premier enseignement et affronte de longues journées. À l'âge du lycée, le nouveau régime politique lui impose des professeurs l'initiant au marxisme-léninisme. Ses études d'ingénieur se poursuivent à Bordeaux où il découvre des élèves ignorant leur propre histoire coloniale, mais surtout la solitude et un climat hostile. Quitte à décevoir ses proches, Hamadoun préfère retourner en Afrique et part enseigner en Côte d'Ivoire. Mais le modèle africain le révolte quand il découvre que, bien payé lui-même, deux tiers de ses élèves ont du mal à se nourrir. Du coup, il repart en France se spécialiser en informatique et intelligence artificielle. Néanmoins, la réussite professionnelle ne résout pas tous les problèmes : sur sa terre natale, comment faire accepter ses enfants dont la mère est blanche, et l'idée qu'il est plus utile d'offrir des choses pérennes, comme « l'instruction qu'on conserve jusqu'au tombeau », que des craies pour l'école ?
Pour reprendre le sous-titre de l'opéra, telles sont « les tribulations d'un métis du monde » dont la parole – devancée ou répétée, en solo ou en canon – engage un quatuor de solistes équilibré, du soprano jusqu'à la basse – Brigitte Peyré, Katalin Károlyi, Jean-François Chiama et Christophe Grapperon. En parallèle, un chœur de quatorze chanteurs amateurs intervient sur les notions de paradis, d'enfer et de corruption, affirmant fièrement « Je suis utopiste » ou défiant son voisin en scandant « Dieu » sur un mode guerrier. Le piano de François Kerdoncuff, les clarinettes de Nicolas Fargeix et Chloé Hammond les accompagnent ou ménagent des transitions entre les neuf moments du spectacle.
Alors que l'actualité nous confronte quotidiennement à des interrogations (souvent perverses) sur l'identité, l'éducation et la laïcité, c'est peu dire que l'œuvre présentée ce soir est un miroir parfait de ce début de siècle. Entre humour et gravité, les contradictions de l'espèce humaine s'y révèlent, laissant entrevoir des pistes vers la liberté – quelle soit spirituelle ou créatrice. Un seul écueil à cet opéra expérimental de deux heures : le prêche redondant à la tolérance, qui ne peut qu'assommer un public qu'on imagine aisément curieux et ouvert d'esprit.
LB