Chroniques

par hervé könig

Hamlet
opéra d’Anno Schreier

Theater an der Wien, Vienne
- 21 septembre 2016
Un nouvel Hamlet à l'opéra, signé Anno Schreier – Vienne, 2016
© monika rittershaus

Il y a quelques jours, le Tout-Vienne se bousculait à la première mondiale d’un nouvel opéra du jeune Anno Schreier qui, à trente-sept ans, en compte désormais cinq à son catalogue (il compose en ce moment le prochain). Sa version de la célèbre tragédie de Shakespeare, nous la découvrons plus posément ce soir. Main dans la main avec l’écrivain Thomas Jonigk, son librettiste, Schreier, condense la trame originelle en un drame familial, certes de royale appartenance (semble-t-il), mais où le plus important n’est pas tant le destin individuel de chaque protagoniste mais la succession suivie au trône d’un Hamlet portant pour jamais une immuable malédiction, faite de rancœurs inguérissables et de débordements sexuels. Ce royaume danois prend des atours de villa bourgeoise dont le papier peint est aussi anodin que les relations humaines sont tordues. Les auteurs inventent un Pasteur, nouveau personnage qui contrepointe sur le mode comique cette très dramatique affaire domestique.

Un peu dans la lignée d’un Philippe Boesmans, Anno Schreier écrit une musique très ancrée dans le souvenir du premier XXe siècle. Les contrastes constants de la partition d’Hamlet rappellent Alban Berg, tout en citant Strauss et Ravel par parodie. Dans les moments plus rythmiques, l’après-guerre s’y invite, mais un après-guerre assez consensuel où se reconnaissent les travaux de Stravinsky et, surtout, de Britten. Sans doute y faut-il voir l’influence de l’enseignement de Manfred Trojahn, de trente ans l’aîné de Schreier. Si ce savoir-faire accompagne plutôt bien le propos dramatique, encore ne fait-il que l’accompagner, sans plus. Il n’y a rien du tout de déplaisant à assister à cette représentation, si ce n’est que la musique ne s’impose pas comme nécessaire, en fait.

De même la mise en scène de Christof Loy, installée dans la scénographie monocorde mais efficace de Johannes Leiacker, ne convainc pas pleinement. Les liens entre les personnages s’exacerbent dans une volonté renouvelée de créer un malaise qui, lui, ne viendra pas. Assez curieusement, l’excès constant de la direction d’acteurs, pas plus qu’une fin au cynisme appuyé, ne parvientà concerner le spectateur. Chacun s’en retourne chez soi parfaitement indifférent à l’affaire.

Pourtant, la production bénéficie de nombreux atouts.
La battue avisée de Michael Boder à elle seule se porte garante d’une fosse de très haute volée, par exemple. C’est aussi le cas en ce qui concerne l’excellence des instrumentistes du Radio Sinfonieorchester Wien, bien sûr. Quant à la distribution vocale, il serait difficile de s’en plaindre ! Le contre-ténor Jochen Kowalski hante la scène, mais non en spectre, son Hamlet-père étant tout naturellement intégré par la mise en scène comme le véhicule d’un fatalisme admis qui ne réclame aucune réparation, encore moins de vengeance. L’extrême clarté du ténor Kurt Streit fait grand honneur au rôle buffo du Pasteur. L’aigu chaleureux de Theresa Kronthaler sert une Ophélie en révolte adolescente. Deux stars se prêtent au jeu : Bo Skovhus en Claudius manipulateur, usant d’une puissance expressive époustouflante, et Marlis Petersen en Gerturde d’une sensualité pathologique que la voix sait magnifiquement traduire. De ce mou psy-show mal fagoté, le jeune baryton Andrè Schuen « crève l’écran » : la souplesse de la voix comme l’endurance du souffle n’appellent que bravi ! Espérons retrouver bientôt ce grand chanteur dans des incarnations plus riches, quel que soit le répertoire.

HK