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Chroniques
Hanjo
opéra de Toshio Hosokawa
Yoshio rencontre la belle Hanako. Il lui donne un éventail dont le dessin représente un paysage de neige. Elle lui remet le sien en échange, orné d'un bouquet de belles de nuit. Touchant gage de retrouvailles, ce signe marque leur engagement mutuel. Mais les années passent. La jeune femme attend désespérément l’homme qui ne revient pas. Elle erre dans une gare, considérée comme folle. Une artiste peintre la prend pour modèle et réalise des toiles qu'elle refuse pourtant de montrer.
C'est l'histoire d'une femme qui aime une femme qui aime un homme qui ne revient pas. Un journal s'intéresse soudain au destin d’Hanako. Un article est publié qui raconte son histoire et précise l'adresse de Jitsuko Honda, la plasticienne chez qui elle loge. Celle-ci comprend que l'homme tant désiré pourrait bien venir l'y chercher et tente de décider Hanako de partir en voyage. En vain.
L'homme vient, tandis que la jeune femme dort. Terrible bras de fer entre Jitsuko et Yoshio. Pourquoi vient-il l'aimer maintenant ? Parce que sa vie a été plus compliquée qu'elle aurait dû, depuis l'échange des éventails. Mais dès qu'il a su où la retrouver, il est venu à sa rencontre. Ne parvenant à rien, il finira par crier, pour réveiller Hanako, pour qu'elle vienne. Elle vient, oui, mais ne le reconnaît pas. Pour elle, tous les hommes sont morts. Seul Yoshio qu'elle aime a des yeux vivants. Elle admet que cet homme ressemble en tous points à celui qu'elle attend, mais ses yeux sont morts. Il ne se peut pas qu'il soit vraiment Yoshio. C'est un imposteur. Il doit s'en aller, la laisser attendre encore. Ainsi, l'argument devient l'histoire d'une femme et d'un homme qui aiment la même femme qui aime une chimère, qui préfère sa souffrance d'amoureuse à l'objet de son amour.
Ce nô moderne de Yukio Mishima, intitulé Hanjo en référence au personnage d'un nô ancien, fit l'objet d'une commande conjointe du Festival d'Aix-en-Provence et du Théâtre Royal de La Monnaie (Bruxelles) au compositeur japonais Toshio Hosokawa qui choisit d'écrire lui-même son livret en langue anglaise. Créé au Théâtre du Jeu de Paume, à Aix, le 8 juillet, nous assistions à sa dernière représentation de l’été. Le scénographe Jan Joris Lamers utilise un espace épuré : un fond derrière lequel les personnages disparaîtront, un plateau nu sur lequel est jeté un tissu immense dont les plis évoquent un éventail, qui servira tour à tour de robe, de tapis ou d'entrave.
La lumière et les couleurs discrètes sont vaguement japonaises, sans insistance. Sobre, la mise en scène de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker va droit à l'essentiel, dans une sorte d'austère vérité qui émeut brutalement, en adéquation avec la partition très serrée d’Hosokawa. Celle-ci indique dès l'abord, par ses lancinements obsédants, que l’histoire ne finira jamais, qu'il s'agit d'une œuvre sur des états intérieurs plus que sur les circonstances de leur épanouissement éventuel. On retrouve l'héritage de Tōru Takemitsu dans un souci comparable de synthèse des cultures japonaise et occidentale.
Le mezzo-soprano Lilli Paasikivi incarne Jitsuko Honda, lui prêtant un timbre riche et coloré qu'elle sait ne pas exagérément exploiter de façon à ne pas nuire à l'unité du spectacle. Yoshio est chanté par le baryton William Dazeley, particulièrement vaillant, présent dans son unique scène. L'étrange et obstinée Hanako est le soprano suédois aux aigus faciles et gracieux Ingela Bohlin qui, malheureusement, s'enferre en un jeu d'une expressivité malvenue qui décrédibilise le rôle. Au pupitre, avec bonheur
Georges-Elie Octors dirige l'Orchestre de Chambre de La Monnaie.BB