Chroniques

par bertrand bolognesi

Hans Heiling
opéra d’Heinrich Marschner

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 8 mars 2004
© alain kaiser

Il n’est pas beaucoup d’endroits où apprendre son métier de metteur en scène d’opéra. Il existe des rencontres, des assistanats, mais surtout faut-il beaucoup de persévérance. Il n’y avait pas non plus de concours dans ce domaine, les concours favorisant les confrontations, coups de foudre, projets, etc. Aussi, les associations Camerata Nuova et Opera Europa – qui regroupe une cinquantaine de théâtres lyriques européens – ont-elles créé un concours de mise en scène d’opéra qui, tous les deux ans, offre au lauréat de réaliser un projet. Ouvert en 2001, il se poursuit en 2003 et pour sujet impose le rare Hans Heiling d’HeinrichAugust Marschner. Cinquante tentatives, vingt projets sélectionnés et, finalement, une équipe de vainqueurs : Andreas May (mise en scène) et David König (décors et costumes), qui à l’Opéra national du Rhin, vient de réaliser la première française de cet ouvrage méconnu.

Le compositeur est né en Saxe en 1795. À dix-sept ans, il fait ses études à Leipzig puis à Prague. Suivant le conseil et l’encouragement de personnalités musicales dont Beethoven fut la plus prestigieuse, il se consacre à une carrière de musicien. Il se trouvera en poste à Dresde, Bratislava, Hanovre et Leipzig. Si un premier essai dans le domaine de l’opéra demeure non joué (Titus), Dresde crée Heinrich IV und d’Aubigné dès 1820. Une année après, la Berliner Schauspielhaus représente Der Freischütz de Carl Maria von Weber qui consacrerait une nouvelle idée de la germanité dans l’histoire du genre. Ouvrage fantastique s’il en est, romantique par excellence, Freischütz ouvre la voie à nombre d’inspirations, dont deux ouvrages de Marschner qui se suivent de près : Der Vampyr (1828) et Der Templer und die Jüdin (1829), créés à Leipzig. Tiré d’une légende tchèque, Hans Heiling voit le jour à Berlin le 24 mai 1833, sous la direction de l’auteur, et connaît un grand succès.

Avant de s’éteindre en 1861, Marschner écrivit de nombreux Lieder, des pièces pour chœur et une vingtaine d’opéras. La comète wagnérienne projettera bientôt son ombre sur lui. Sa musique se laisse découvrir aujourd’hui au disque. Ainsi pourrez-vous écouterDer Vampyr –enregistrements de la Rai (1953) dirigé par Heager, de la Radio de Vienne (2002) par Tenner, de l’Opéra de Rome (1980) par Neuhold, de l’Opéra de Münich (1974) par Rieger – et Hans Heiling –enregistrements de l’Opéra de Köln (1966) dirigé par Keilberth (avec Hermann Prey, Leonore Kirschstein, Liane Synek, Karl J. Hering), de la Rai-Turin (1972) par Albrecht (avec Bernd Weikl, Gertie Zeumer, Ursula Schröder-Feinen, Heikki Siukola).

L’ingénieuse et sensible mise en scène de ce soir représente l’univers souterrain du Prologue comme un monde impersonnel, non sexué, fonctionnel, on pourrait même dire instrumental, où les esprits sont des silhouettes grises indifférenciées. L’on ressent parfaitement l’étouffement d’Heiling, fils de la Reine des Esprits de la Terre, et son envie de connaître les trépidations d’une vie humaine. L’Ouverture sépare le Prologue de l’Acte I, faisant office de passage entre deux mondes. Tout se colore : le chœur, qui s’avère d’une vitalité débordante, est une incroyable respiration dans l’étrangeté initiale, la campagne est bleu et verte comme la nature, mais aussi rouge comme les toits des maisons, et les costumes déclinent toutes les teintes possibles. L’esthétique est celle d’une Alsace fantasmatique comme il n’en existe pas, et pourrait aussi bien être celle d’une Suisse imaginaire ou d’un Schwarzwald artificiel comme une carte postale retouchée.

Tout évoque joie et bonheur, jusqu’à l’écœurement, cache une odieuse mentalité de village où tous, lassés d’indéfiniment épier le voisin, jettent leur dévolu sur l’étranger – on ne le connaît pas, il n’est pas d’ici, il est sûrement moins bien que nous, mais peut-être mieux, en tout cas, il a voyagé, on se sent un peu bête devant lui, il a de l’or, on aimerait lui en prendre, tant qu’à faire, etc. –, finissant par le rejeter violemment au moindre bruit : c’est qu’on ne l’avait pas accepté, jamais la tribu ne l’aurait intégré, vous pensez bien ! Qu’aura réussi Heiling en montant parmi les hommes ? Uniquement à entraîner les Esprits de la Terre dans une passion rien qu’humaine. L’humanité n’est que maladie contagieuse, la mesquinerie qui la caractérise invitant bien plutôt à se faire gnomes ou kobolds !

Musicalement, l’on identifie plus d’une fois l’influence certaine de Weber, mais également des prémisses de Wagner, notamment sur la dernière apparition de la Reine. La direction d’Olaf Henzold soigné la lettre autant que l’esprit par un travail d’une grande finesse. Remercions les artistes des Chœurs maison pour leur prestation autant précise qu’engagée dont il faut signaler tout particulièrement le savant mezza-voce du Prologue, en adéquation avec l’option de mise en scène.

Le plateau vocal n’est pas en reste.
Anja Kampe propose une Anna confortablement sonore au timbre attachant, Hanna Schaer est idéalement distribuée en Gertrud, le ténor Norbert Schmittberg fait un peu trop volontiers le ténor, sans nuances, et jusqu’à s’en fatiguer lui-même, tandis que Marcela de Loa offre une efficace Reine des Esprits de la Terre. Hans Heiling bénéficie des aigus cuivrés, de la projection parfaite et de la grande présence de Detlef Roth qu’à juste titre le public de Strasbourg acclame.

BB