Chroniques

par bertrand bolognesi

Harrison Birtwistle et Pierre Boulez
Daniel Kawka dirige le London Sinfonietta

Biennale Pierre Boulez / Centre des Congrès Fauriel, Saint-Étienne
- 14 novembre 2004
le chef d'orchestre Daniel Kawka, boulézien émérite
© dr

Créé outre-manche il y a trente-six ans, le London Sinfonietta est fort lié au compositeur fêté par ce festival dont l’édition se conclut ce soir. La formation britannique se produisit plus d’une fois sous sa direction, donnait en 1984 la première audition de Dérive 1, pièce qui ouvre ce concert. Au pupitre, Daniel Kawka mène une lecture tendue, à la fois parfaitement claire, transparente, et traversée de contrastes nettement accusés qui l’affirment plus dramatique que celles du maître lui-même – on parlera donc proprement d’une interprétation. Dérive 1 suscita quatre ans plus tard Dérive 2 qui donna lieu à une seconde version (2002, entendue tout dernièrement lors des concerts du centenaire du London Symphony Orchestra, au Théâtre du Châtelet). Aujourd’hui, Pierre Boulez poursuit son work in progress, de sorte qu’il annonce une nouvelle mouture d’environ quarante minutes.

En cette même année 1984, le London Sinfonietta créait Secret Theater d’Harrison Birtwistle, une œuvre pour orchestre de chambre (quatorze musiciens) où quelques instrumentistes se déplacent, bouleversant les habitudes d’écoute, comme l’expérimentaient les compositeurs de Darmstadt dans les années soixante. Une interprétation fort enthousiasmante est ici livrée, nerveuse, parfois même un rien violente, habitée d’une ferveur quasi adolescente, passionnante et très habile. Petite ombre au tableau : le piano n’est pas exactement accordé.

Sous-titré Boulez et ses contemporains, ce concert fait mesurer la place du travail du créateur dans le paysage musical de son temps et son influence sur celui d’un compositeur plus jeune. Si Birtwistle fut présent dès les débuts de l’Ircam, s’il dédiait ses Settings of Celan au maître, Boulez s’essayait à un voyage des instruments comparable à celui de Secret Theater dès 1968 en revisitant Domaines pour clarinette solo (1961), dont il imagine l’extension pour clarinette et six groupes instrumentaux – l’on peut parler d’une communion de pensée formelle entre Domaines et Secret Theater. L’œuvre s’articule en deux épisodes complémentaires : d’abord, le soliste désigne le groupe qui intervient en se plaçant devant lui, comme pour lui « donner la musique », pour ainsi dire ; lorsque tous ont joué, c’est le chef qui désigne les groupes et le clarinettiste suit un parcours imposé, à partir du même matériau rétrogradé. L’on assiste donc à une passation de pouvoir. La présente exécution surprend dans un départ fulgurant et séduit par la souplesse insoupçonnée de l’inversion de la décision, Daniel Kawka prenant les rênes tout en douceur.

BB