Chroniques

par bertrand bolognesi

Harrison Birtwistle, Leoš Janáček, Martín Matalon et Isang Yun
Concours international de piano d'Orléans

Carré Saint-Vincent, Orléans
- 18 février 2009
le jeune pianiste Antal Sporck photographié par Ingrid Bertens
© ingrid bertens

En mars 2008, le Concours International de Piano d’Orléans, dédié à l’interprétation de la musique d’aujourd’hui, couronnait trois jeunes musiciens : la mention spéciale Maurice Ohana revenait à l’Américain Adam Marks, la mention spéciale André Boucourechliev à Antal Sporck [photo], hollandais, tandis que la Française Florence Cioccolani recevait les prix de la Spedidam, de l’Académie des Beaux Arts et Blanche Selva. Un peu moins d’un an plus tard, la Salle Touchard retrouve deux de ces artistes dans un programme donné par l’ensemble TIMF, formation coréenne qui, depuis huit ans, chez elle comme ailleurs, promeut la musique de notre temps, tout en s’affirmant héritière spirituelle du compositeur Isang Yun, disparu en 1995.

C’est précisément par l’Octuor composé par Yun en 1978 que le concert s’ouvre, sous la battue précise de Nicolas Chalvin. Dans cette page, Yun s’affirme indéniablement compositeur allemand, comme il aimait à le dire lui-même. La prégnance de la forme construit l’œuvre le plus solidement qui soit, rendant son écriture aussi évidemment qu’étonnamment parente d’une tradition qu’on pourrait croire éloignée de la culture de l’auteur. L’intégration de celui-ci dans le ferment créatif d’outre-Rhin garde un souvenir extrême-oriental dans l’ambitus réduit de la dynamique, diamétralement opposée au goût du contraste de la musique allemande, de l’art allemand en général, voluptueusement déraisonnable. Chalvin soigne cette délicate égalité par un équilibre judicieux toujours précieusement maintenu.

Florence Cioccolani fait son entrée en scène pour le trop rare Concertino de Janáček. Avec ses quelques quatre-vingt quatre printemps, voilà une œuvre résolument moderne ! On regrettera, cependant, que le piano de la jeune femme ne tisse guère plus de couleurs. Le jeu respecte scrupuleusement la notation, mais cela suffit-il ? Sa partition éditée, le compositeur a-t-il tout dit ? Il y a, dans un mouvement initial en duo cor/piano, un second en duo clarinette/piano, une simplicité fausse à laquelle l’interprète se tient trop.

En 1996, Harrison Birtwistle écrivait Slow Frieze pour piano et ensemble. L’exécution en est ici confiée à Antal Sporck qui se joue le plus aisément du monde d’une partie soliste plutôt ingrate où saille une accentuation chaotique dans une redoutable régularité rythmique. La frappe est robuste, l’articulation d’une fiabilité indiscutable, la sonorité lumineuse. Nicolas Chalvin révèle les chemins sériels d’une partition qui tient chaque instrumentiste en éveil, lui réservant des traits d’une expressivité immédiate, dans une tension générale cousine de Varèse. Le relief surgit là où personne l’attend, le mouvement avance dans sa propre effervescence, toujours profonde, avec une constante prise de risque. Quelle personnalité ! Autre personnalité : celle d’Antal Sporck, pianiste, chef d’orchestre et compositeur dont une dizaine d’opus furent rendus publiques, parmi lesquels Cinq préludes distingués ici même l’an dernier par le Prix de composition André Chevillion-Yvonne Bonnaud. L’auditeur français pourra découvrir son prochain Quatuor aux Journées Ravel (Montfort l’Amaury), cet automne.

Pour finir, Sporck laisse le clavier à Cioccolani qui se lance dans Trame IV de Martín Matalon, volet d’une vaste série de pièces aujourd’hui au nombre de huit, commencée en 1997 et sans doute ouverte encore, tel le cycle des Traces (elles sont cinq, pour le moment) amorcé en 2004. Après l’inventivité de Birtwistle, il faut avouer que la gentille maîtrise de Matalon, pour flatteuse qu’elle soit, paraît un peu creuse.

BB