Chroniques

par bertrand bolognesi

Harry Bicket dirige The English Concert
Georg Friedrich Händel | Radamisto

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 6 février 2013
le contre-ténor David Daniels chante Radamisto (Händel) à Paris
© dr

Le traditionnel cycle Händel que présente chaque saison le Théâtre des Champs-Élysées se poursuit avec Radamisto, opéra créé au King’s Theatre (Londres) le 27 avril 1720. Au pupitre de son English Concert, nous retrouvons Harry Bicket, parfaitement aguerri à ce répertoire. Dès la Sinfonia souverainement articulée quoique sans appui disgracieux – au contraire, une saine fluidité la traverse –, les quelques vingt-cinq instrumentistes imposent une lecture sagement équilibrée qui aiguise subtilement l’assise dramatique sans se départir d’une distance déjà classique plutôt bien vue. Soulignant à peine quelques figuralismes et révélant la délicatesse d’intention musico-psychologique en choisissant tel instrumentarium au continuo d’un numéro amoureux, le chef livre une interprétation de grande tenue.

S’il s’agit bien d’une version de concert, encore ce Radamisto s’avère-t-il servi par une équipe de chanteurs qui n’annihile pas le jeu. Six voix nous conduisent hardiment dans une intrigue guerrière qui n’a pour fondement politique que l’amour d’un tyran – le mot « conquête » est, de fait, diversement usité.

Passons vite sur Robert Rice (qui donne un Farasmane peu stable et sans véritable corps vocal) et concentrons notre écoute sur les cinq autres rôles, tous fort bien mis en voix. En Polissena, Brenda Rae campe d’un timbre présent une reine à l’inflexion touchante, distillant savamment la nuance de l’impérieuse colère à la mélancolique tendresse. Le troisième acte fait cependant entrevoir une aigreur de timbre que le premier ne laissait pas supposer. On retrouve le baryton-basse Luca Pisaroni, la fermeté indicible de ses récitatifs et les riches harmoniques de sa voix, dans Tiridate, le despotique Arménien auquel il dessine adroitement des allures de butor. À un premier acte brillamment bourru, si l’on ose dire, succèdent les grâces du deuxième : le chant d’alors ingénieusement osciller entre une souplesse charmeuse et une ardente violence où s’entend la force de désir. L’aria di bravura du troisième libère une hargne éclatante, superbe, avant la repentance finale.

Le mezzo-soprano irlandais Patricia Bardon s’affirme d’emblée comme LA voix de la soirée. Sa Zenobia bénéficie d’une jouissive opulence vocale, d’une ampleur toujours prudemment canalisée, d’un chant d’une formidable richesse expressive, y compris dans certains intervalles assez redoutables à réaliser. Chaleureuse, la couleur traverse un legato soyeux qui fait merveille. Le rôle-titre est tenu par David Daniels. Son premier air surprend par une respiration légèrement entravée et un da capo un rien laborieux. Pourtant, la ligne se tient dans une précision indiscutable. Le contre-ténor dépose avec raffinement le sensible (et fameux) Ombra cara. Et la lumière se fait au troisième acte, quand l’air qui l’oppose à son rival révèle l’enrouement du bas-médium : vraisemblablement l’artiste fait les frais d’un refroidissement, ce qui explique qu’on ne rencontre pas ce soir l’aisance qu’on lui connaît.

Il faut se méfier de l’eau qui dort : le parcours emprunté par le soprano Elizabeth Watts au fil de l’exécution pourrait faire sien cet adage. Son interprétation du fidèle Tigrane débute dans un format modeste, précautionneusement serti, avec un grave assez plat, une présence néanmoins vive, une conduite sûre. Bientôt vont poindre élégance de l’émission, agilité et endurance, jusqu’à nous faire dire de cette voix qu’elle demeure sans doute la plus positivement étonnante de ce concert.

BB