Chroniques

par vincent guillemin

Hartmann, Maderna, Nono
Laura Aikin, Jean-Frédéric Neuburger, Ingo Metzmacher

Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg
Festival d’Automne à Paris / Cité de la musique
- 18 novembre 2014
l'hommage à Luigi Nono du festival d'Automne à Paris se poursuit ce soir
© dr

À l’heure où s’ouvrent ou vont s’ouvrir les portes de nouveaux lieux d’écoute parisiens, interrogeant à l’occasion leur futur taux de fréquentation, quel plaisir d’être dans une salle pleine pour un programme du XXe siècle, joué dans le cadre du Festival d’Automne à Paris ! Ingo Metzmacher a préparé un programme d’une rare intelligence, empruntant à trois compositeurs de décennies différentes qui se sont connus et estimés. Il dirige le Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden-Baden und Freiburg, formation fantastique bientôt associée à celle de Stuttgart afin de rationaliser les coûts.

Joué ce soir pour la première fois en France alors qu’il fut créé par Hans Rosbaud en 1950, Adagio pour grand orchestre de Karl Amadeus Hartmann devait initialement faire partie d’un cycle de près de deux heures, avant d’être réduit à sa plus simple expression pour être finalement considéré par le compositeur comme sa Symphonie n°2. Tendu et ténébreux à la manière des pages de guerre russes (Prokofiev et Chostakovitch), cet opus écrit à partir de 1943, en plein conflit mondial, unit des cordes lancinantes à des soli de bois et de cuivres, rehaussés par des percussions, un célesta et un piano. Metzmacher (dont on connaît l’enregistrement de l’intégrale des symphonies d’Hartmann) maîtrise cette musique comme personne, créant dès les premières notes une atmosphère froide dans laquelle développer les parties de vents. Il dispose d’une des meilleures « machines » pour un tel répertoire, auquel elle est aguerrie depuis toujours, orchestre sans faille déclinant un son à la fois romantique et contemporain.

Créé vingt-et-un ans plus tard, Ausstrahlung de Bruno Maderna, écrit pour flûte, hautbois, orchestre et bande magnétique sur la base de textes indiens et perses (1971), questionne l’induction musicale du langage, à l’image de Laborintus II de Luciano Berio (1965). Répartis en cinq groupes formant des arcs de cercles concentriques, les instrumentistes s’associent à la voix du soprano, placé à droite, et à la bande magnétique diffusant des textes du Mahâbhârata, du Kâvyâdarsa et des poésies persanes, dans leur langue d’origine et en traductions françaises et anglaises. Bien que projetant parfois trop durement certaines phrases, Laura Aikin offre une prestation engagée à laquelle s’ajoute une excellente diction. Orchestre et chef montrent une nouvelle fois un métier parfait, tandis que deux solistes du SWR alternent des interventions au summum. Que Gunhild Ott utilise la flûte, la flûte en sol ou la flûte basse, qu’Alexander Ott manie le hautbois, le hautbois d’amour, la musette ou le cor anglais, ils jouent avec une grande intelligence et une extrême précision.

Cette édition du festival étant consacrée à Luigi Nono [lire notre chronique du 14 novembre 2014], c’est par ce compositeur que se clôt la soirée. Composée pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique à l’attention de Maurizio Pollini et Claudio Abbado (gravure disponible chez Deutsche Grammophon), sur un poème de Julio Huasi dédié au leader populaire Luciano Cruz, mort en 1971, Como una ola de fuerza y luz (1971) accompagne en permanence sa partie acoustique par une bande magnétique où la voix du soprano Slavka Taskova est électroniquement modifiée. Faut-il encore préciser à quel point Ingo Metzmacher et le SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg s’entendent à magnifier cette œuvre où, là encore, Laura Aikin fait preuve d’un grand volontarisme, toutefois perfectible quant au timbre parfois trop cuivré pour le texte espagnol. Au piano, Jean-Frédéric Neuburger surprend par son contrôle des enchainements, tandis que la projection de la bande magnétique est impeccablement gérée par André Richard (toujours).

VG