Chroniques

par gilles charlassier

Haydn et Mozart par le Jeune Orchestre de l'Abbaye
Händel par Vox Luminis, Mahler et Wolf par l’Orchestre des Champs-Élysées

Festival de Saintes / Abbaye aux dames
- 20, 21 et 22 juillet 2017
au Festival de Saintes, William Christie dirige le Jeune Orchestre de l'Abbaye,
© sébastien laval

Après un premier week-end dominé par les nuances du baroque [voir nos chroniques de 15 et 16 juillet 2017], le second octroie une appréciable tribune à l'orchestre, sans pour autant renoncer aux mœurs herméneutiques sur instruments d'époque. Avant de détailler la soirée de clôture, avec l'Orchestre des Champs-Élysées sous la baguette fondatrice de Philippe Herreweghe, on évoquera le troisième programme présenté par Vox Luminis le 20 juillet, après la dynastie Bach le 15 et un midi où le Cantor de Leipzig se mêle à Purcell, le 18. Si le Dixit Dominus HWV 232 d’Händel s'affranchit d'une certaine verticalité idiomatique de la Contre-Réforme romaine, ce qui peut s'avérer ça et là frustrant, ainsi dans le Gloria Patri conclusif, la tendresse du camaïeu de couleurs et d'affects magnifie l'Ode for St. Cecile's day HWV 76, avec la complicité du soprano soliste Zsuzsi Tóth.

Le lendemain, William Christie met Haydn et Mozart dans la besace du Jeune Orchestre de l'Abbaye, formation réunissant des jeunes musiciens venus se perfectionner dans l'interprétation des répertoires classiques et romantiques sur instruments d'époque – elle s'est également produit sur la scène saintongeaise avec un concert Tchaïkovski (le 15). D’Haydn, la Symphonie en si bémol majeurHob.I: 85 « La Reine », ouvre la soirée par des saveurs roboratives, sensibles dès le Vivace augural. Le geste alerte d'une main sans baguette impulse une dynamique dans la Romance et le Menuetto, identiquement notés allegretto, qui n'hésite à recourir à un humour narquois, évident dans le Presto final. Livrée en conclusion, la Symphonie en ut majeur Hob.I: 82 « L'Ours » ne dément pas l'alacrité de la lecture du chef franco-américain. Entre ces deux opus haydniens, Emmanuelle de Negri fait respirer l'expressivité virtuose de deux airs mozartiens. Si le Di tante sue procelle extrait d'Il re pastore dévoile les atours d'un timbre nourri et fruité, Voi avete un cor fedele K.217 déploie une étourdissante musicalité au service des ressources dramatiques de la pièce.

Samedi, enfin, l'office ultime forme un point d'orgue aux festivités célébrant le quart de siècle de l'Orchestre des Champs-Élysées. Loin de se laisser confire dans les Bach qui, en partie, l'ont baptisé aux oreilles du public et de la critique, Philippe Herreweghe appartient aux pionniers qui n'entendaient pas laisser aux grandes phalanges consacrées le romantisme symphonique, investissant jusqu'à Bruckner, Mahler ou Wolf. C'est avec six poèmes tirés des Mörike Lieder de ce dernier que débute le programme, par la voix de Dietrich Henschel. Le soin apporté à la diction et à l'évocation affleure dès Er ist's et se confirme dans Neue Liebe. Les teintes vespérales de Schlafendes Jesuskind empruntent une intériorité que ne démentent point Denk es, o Seele! ni Wo find’ ich Trost qui, par le médium de la chair textuelle, compensent un aigu plus d'une fois trop dolent. Redonnée en bis à la fin de la soirée, la berceuse An den Schlaf referme le parcours dans le cycle sur une douceur tendre et maîtrisée, à laquelle fait écho la palette détaillée par les pupitres orchestraux.

Celle-ci se retrouve dans lesLieder eines fahrenden Gesellen de Mahler où la fraîcheur de l'intonation et des alliages de timbres prime sur la patine sonore. Il en résulte une vitalité dramatique qui met en valeur le désespoir de Wenn mein Schatz Hochzeit macht, quand la naïveté de Ging heut' morgen übers Feld ressort avec une efficace sobriété. Les tourments d’Ich hab’ ein glühend Messer cèdent à la mélancolie songeuse de Die zwei blauen Augen von meinem Schatz, et les efforts d'héroïsme aux mezza voce meilleurs quand ils n'ont pas à franchir le passage de tessiture. En seconde partie, la Symphonie en ut mineur op. 68 n°1 exalte les masses orchestrales dont la direction n'hésite pas à faire ressortir les strates, imprimant au premier mouvement un bouillonnement puissant qui contraste avec les ressources presque pastorales de l'Andante ou de l'Allegretto, avant un finale ample mais jamais grandiloquent.

GC