Chroniques

par bertrand bolognesi

Haydn par le Quatuor Parker
création de La cigarette (mémoire de solitude) de Colin Roche

Printemps des arts de Monte-Carlo / Hôtel de Paris, Salle Empire
- 21 mars 2014
le compositeur français Colin Roche dont est créé ce soir "La cigarette"
© dr

Premier rendez-vous avec Joseph Haydn, l’un des deux compositeurs portraiturés par le Printemps des arts de Monte-Carlo. Avant que l’excellent Quatuor Parker livre son interprétation de deux des quelques quatre-vingt-trois opus conçut par l’Autrichien pour cet effectif, découvrons ce que notre contemporain Colin Roche [photo] a imaginé pour les Trois minutes qui lui furent commandées à l’occasion du trentième anniversaire du festival.

La cigarette (mémoire de solitude)… Le musicien s’explique : « …que fais-je trois minutes avant un concert ? J’allume une cigarette et je la fume rapidement, seul. Où le personnage fait face à la toxicité du geste qu’il accomplit sciemment. Où prend consistance un solo pour violon, fait de fumée et de cendres, se déposant inévitablement sur l’instrument ». L’archet sautillant de Constance Ronzatti s’ingénie efficacement à l’effleurement, comme d’un brin d’herbe sous la bise, laissant poindre le feulement doux-câlin d’une respiration régulière. Rien ne s’affirme, si ce n’est la volonté de ne rien affirmer jamais, si nette dans le col legno avorté dès son amorce. L’œuvre s’éteint dans un grattement de cellophane – fort beau.

Durant l’édition précédente, nous vous parlions du Troisième Quatuor de Bartók dans la version passionnante de quatre jeunes gens plus que doués [lire notre chronique du 22 mars 2013]. Nous les retrouvons un an plus tard dans un tout autre répertoire, avec toujours autant de plaisir. Tandis que de l’autre côté de la place est donné Il mondo della luna [lire notre chronique du 14 avril 2012] écrit par Haydn en 1777 (trois représentations à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 25 mars), les Parker nous propulsent deux décennies plus tard avec le Quatuor en sol majeur n°66 Hob.III :81. Dans une lumière luxueusement boisée, d’un fin burgau point trop livré, l’Allegro initial « ouvre la tête » au fil d’échanges d’une exquise intelligence. Voilà qui avance avec infiniment d’esprit, sans arrogance aucune – comme par devers soi. L’Adagio s’élance souverainement, se raffilant bientôt dans le chant du premier violon (Daniel Chong), d’une générosité inouïe. Une inépuisable palette de couleurs et une bluffante tonicité servent brillamment le Menuetto, avec son trio robustement accroché dans le grain du son (sans hargne malvenue, toutefois). La dynamique séduit dans le Presto final – quel panache !

Retour vers les années du dramma giocoso cité plus haut, avec le Quatuor en fa mineur n°23 Hob.III :35 de 1772. L’approche est aux antipodes, toute dans une retenue fragile et ténue, mezza voce qui trace son chemin dans d’impalpables demi-teintes, ponctuellement mises en relief par des attaques parfois vigoureusement incisives. La lecture du Quatuor Parker se révèle d’une concentration qu’on pourra dire « radicale ». Après un Allegro moderato d’une digne mélancolie, la nuance du Menuetto est poussée jusqu’aux confins, résultat d’une audacieuse prise de risque qui conduit discrètement à l’émotion. La tendresse recueillie de l’Adagio suivant échappe comme par miracle à la pulsation, aux instruments, aux musiciens, au lieu, à tout, dans une flottaison céleste. À la fugue (Finale) de voiler sa ciselure dans un feutre indicible, jusqu’à une rupture d’une violence tragique – bouleversant.

Belle idée (de Marc Monnet) que d’avoir souhaité qu’on jouât une deuxième fois certaines œuvres dans une même soirée : c’est le cas du Quatuor n°66 qu’on retrouve en seconde partie de ce concert, dans une interprétation qui contraste au premier mouvement, mais gagne dans l’Adagio une nuance héritière de l’exécution du Quatuor n°23. Comme par un cordial et nécessaire regain de bonne santé, le Finale est enlevé dans une franche jubilation.

BB