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Chroniques
Heinz Holliger joue Berg, Kœchlin et Mozart
Claudia Barainsky (soprano), Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Si Robert Schumann est le musicien célébré tout au long de la saison de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, on observe que plusieurs rendez-vous avec la musique d’Alban Berg viennent, dans le vaste édifice, clore un cycle commencé au printemps 2004 – Concerto à la mémoire d’un ange [lire notre chronique du 28 avril 2005] et représentations de Lulu à l’Opéra national du Rhin [lire notre chronique du 19 juin 2005]. Pour un orchestre de région, c’est un choix inhabituel qu’il convient de saluer. Ainsi fêta-t-on le Viennois en jouant son Quatuor, dimanche dernier (aux côtés de pages de Zemlinsky et de Webern), de même que l’on donnera dans un mois ses opus 4 et 6. Dans l’immédiat, nous entendrons la Lulu Suite et Der Wein, cet air de concert sur les poèmes de Baudelaire qui vint interrompre la composition de l’opéra.
Sous la battue d’Heinz Holliger, le Rondeau de la Lulu Suite vient de loin, dans une attaque presque imperceptible, toute souplesse. Le geste musical se révèle plus large encore dans l’Ostinato, quitte à y perdre parfois le fil du discours En guise de relief, la brutalité des contrastes surprend d’autant qu’elle pourrait fort avantageusement s’accommoder d’une sensualité qu’on ne devine plus. Dans le Lied, le soprano Claudia Barainsky [photo] offre un chant prudemment conduit dont la sombre couleur affirme la présence. Pourtant, les Variations déçoivent, le chef s’égarant dans les différentes strates de la partition sans y ciseler ses choix. On rencontre un certain lyrisme dans l’Adagio final, quoique timide. Dans l’ensemble, cette exécution ne possède pas le souffle requis. À tant radicaliser Berg, on perd l’emphase à laquelle sa musique, même dans ses moments les plus « bruiteux » – voire justement dans ceux-ci, d’ailleurs – n’a jamais renoncé.
Moins joué, Der Wein demeure l’une des œuvres les plus abouties de Berg. Holliger la conçoit dans une urgence étonnante qui électrise la partie vocale. Les efforts sont notables, mais le résultat demeure relativement terne et peu inspiré.
Ce soir, les esthétiques se confrontent.
Précédant cette Lulu dont l’écriture commençait en 1927 et Der Wein créé en 1930, le nocturne Vers la voûte étoilée Op.129, dédié à l’astronome Camille Flammarion, fut composé par Charles Kœchlin entre 1923 et 1933, puis définitivement révisé en 1939. Bien qu’il reste incroyablement rare de pouvoir entendre la musique de Kœchlin, qui compte quelques deux cent vingt-cinq opus dont une quarantaine de pages symphoniques, Heinz Holliger s’en fait le zélé défenseur depuis plusieurs années déjà (à travers de nombreux programmes de concert et, principalement, les enregistrements qu’il effectua pour Hänssler). Il va sans dire que le dessin de cette voûte n’est guère facile à réaliser, s’agissant d’une des pièces à l’apparence la plus statiques de l’auteur. On y rencontre toutefois un lyrisme qui, par certains aspects, mêle Fauré à Puccini (toute proportion gardée), ce qui met en cause beaucoup de commentaires systématiques produits sur le compositeur, dans une facture ô combien plus complexe. Peu à peu, le chef parvient à mener l’élan à sa portée véritable, d’une manière abondamment distillée qui finit par convaincre, distinguée par une conduite précise de la nuance.
Enfin, la Symphonie en sol mineur K550 n°40 de Wolfgang Amadeus Mozart bénéficie de l’interprétation la plus convaincante de la soirée. Les musiciens se lancent dans un premier mouvement leste et gentiment bondissant où chaque solo satisfait. Holliger soigne un bel équilibre pupitral. Loin d’être timoré, le parcours avance franchement, dans une verve irrésistible. L’Andante se trouve débarrassé de tout maniérisme, ouvrant sur un Menuet robuste et vigoureux dont le Trio souligne la grâce des bois strasbourgeois, tout en sachant, avec beaucoup d’esprit, ne pas s’écouter trop. Une gravité non annoncée bouscule l’écoute de l’Allegro final, soudain sérieux.
BB