Chroniques

par bertrand bolognesi

Heitor Villa-lobos | Floresta do Amazonas
Enrique Diemecke dirige l'Orchestre National de France

Musique et nature / Radio France, Paris
- 15 octobre 2005
le grand compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos
© dr

Poursuivant sous l'appellation Portes ouvertes les week-ends Figures instaurés il y a plusieurs saisons, la maison ronde s'ingénie cette fois à explorer ce que l'on pourra désigner par « l'inspiration environnementale » des compositeurs, par le biais de ce nouveau cycle Musique et nature que deux concerts inaugurent vendredi soir, l'un consacré à Castelnuovo Tedesco et Villa-Lobos, l'autre aux Serpents de feu dans le désert, oratorio de Hasse évoqué sur ces pages il y a quelques semaines [lire notre chronique du 18 septembre 2005]. Introduit par un rendez-vous à la double thématique (l'été et les oiseaux), ce samedi s'achève par une soirée sud-américaine où l'on retrouve Enrique Diemecke à la tête de l'Orchestre National de France.

Pour commencer, le chef mexicain conduit un ensemble plus réduit de la formation, accompagnant Richard Galliano dans le Concerto pour bandonéon et orchestre écrit parAstor Piazzolla en 1979. Tout en alourdissant un peu trop l'appui de l'Allegro initial sur la percussion – certes indiqué marcato, ce qui pourtant pourrait ne pas exclure une certaine fluidité –, il s'en tient à une approche relativement austère, ne prenant jamais le pas sur le soliste. L'avantage de cette option est d'assez justement rendre compte de l'héritage néoclassique plutôt sévère de Nadia Boulanger dont Piazzolla fut l'élève dans les années cinquante. Toutefois, vingt ans ont passé depuis, durant lesquels l'auteur a largement pu s'affranchir de cette influence. Aussi, un lyrisme contenu dans les répons de cordes, sans grever pour autant une rythmique exacte, n'aurait gêné personne. À l'âpreté de l'orchestration du second thème, le bandonéon répond par un séduisant déploiement de virtuosité, avant de s'engager dans la triste élégie rehaussée d'une mélopée du violon solo soutenu par la harpe, comme en suspend, du Moderato central. On regrettera l'improbable régularité des ostinati du dernier mouvement (Presto), une rigueur qui oublie de laisser vivre les traits plus chatoyants du piano, taisant jusqu'aux mélodies de cordes.

Tout autre s'avère l'interprétation de Floresta do Amazonas (La forêt d'Amazonie, 1959), grande cantate d’Heitor Villa-Lobos conçue à l'origine pour illustrer Green Mansions, film produit par la MGM. Dès l'Obertura scandée avec ferveur s’imposent l'intense énergie de l'œuvre et de cette exécution. Enrique Diemecke maîtrise parfaitement la magie de l’écriture, comme sa lecture de La découverte du Brésil, ici-même, nous en convainquait l'an dernier [lire notre chronique du 9 octobre 2004]. De l'énigmatique déambulation instrumentale suivante il fait somptueusement sonner chaque pupitre, dans un équilibre toujours idéal. Cette suavité tant absente du Concerto précédent trouve enfin à s'épanouir dans une musique plus riche, il faut l'avouer, dont l'orchestration stimule sans cesse et génialement l'écoute, convoquant une centaine d'instruments et une trentaine de choristes.

Soignant chaque alliage, rendant magnifiquement compte d'une coloration typiquement villa-lobos, pour tout dire, Diemecke parvient également à faire entendre le moindre détail des tutti les plus monumentaux. Outre les forces du Chœur de Radio France, l'œuvre nécessite un soprano : Indra Thomas prend naturellement appui sur le lyrisme affirmé de l'orchestre dans Veleiros, avant de donner Cair da tarde dans un climat particulièrement désolé. Arrivée après l'Ouverture, elle gagne à ce moment la place traditionnellement dévolue au soliste, dans ce qui devient alors une succession de mélodies conférant des allures de récital au concert. Le compositeur contraste les effets dans Os caçadores de cabeças, tragiquement introduit, et développe ensuite une tendre vocalise doublée par l'ondiste. Accompagnée par la guitare et la contrebasse, puis la harpe (et, après deux strophes, par les cordes), Indra Thomas livre une sensibilité touchante dans Tarde azul (Canção do amor), page qui laisse appréhender sa parfaite gestion du souffle et sa conduite exemplaire du legato. Dans un élan plus passionné, elle offre une Melodia sentimental délicatement nuancée. Sur la scansion fascinante du Finale, il lui est toutefois impossible de laisser sa vocalise dominer vraiment la masse chorale ; en se détendant, il est à supposer que son chant gagnerait en impact autant qu'en puissance.

BB