Chroniques

par irma foletti

Hercules | Hercule
opéra de Georg Friedrich Händel

Internationale Händel Festspiele / Badisches Staatstheater, Karlsruhe
- 27 février 2023
Hercules, opéra de Georg Friedrich Händel à Karlsruhe
© falk von traubenberg

La quarante-cinquième édition de l’Internationale Händel Festspielede Karlsruhe met à nouveau à son affiche Hercules dans la production de Floris Visser, créée en 2022 – il signait ici-même une Semele quelques années plus tôt [lire notre chronique du 25 février 2017]. Il faut avouer que celle-ci est une belle réussite, dans la (désormais) grande tradition du plateau tournant. Il y a, en effet, beaucoup à voir, plus précisément à l’intérieur d’une bâtisse cossue, divisée en trois secteurs angulaires. Le plus grand volume est réservé pour une vaste salle commune où se déroulent tour à tour un mariage, les célébrations de la victoire militaire d’Hercules, ou bien, à plusieurs reprises, le procès de Dejanira. Les autres espaces de jeu sont un salon de télévision, une salle à manger, puis un escalier qui mène à un balcon et une chambre à l’étage.

Le scénographe Gideon Davey est également chargé des costumes qui évoquent les années 1950 ou 1960. Mais la taille des cheveux des captives, les vrais-faux petits films d’époque et jusqu’à la Une du quotidien britannique The London Evening Standard, « PEACE ! », confirme rapidement la temporalité de l’action, située dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale. La tournette est amplement utilisée, augmentée d’un anneau extérieur qui peut aussi se mouvoir dans l’autre sens, mais sans que le spectateur en arrive à saturation, tant les images sont variées. Il faut dire que le jeu des acteurs est affuté et riche, amenant de la vie à ce long musical drama en trois actes et soutenant tout du long l’attention du spectateur.

En tête de distribution, on peut placer la Dejanira de Kristina Hammarström, tant ce rôle est développé et pourrait sans injustice ravir le rôle-titre à Hercules. Apparaissant tantôt en femme épanouie en robe blanche, tantôt en veuve habillée de noir ou en folle à lier, le mezzo émet un timbre riche aux graves sombres, faisant valoir une dignité naturelle sans aucune outrance dans ses éclats de voix [lire nos chroniques de Lotario, Orlando Furioso, Belshazzar, Alcina à Vienne, Paris et Genève, Orlando et Il primo omicidio].On est assez loin d’une explosive Joyce DiDonato dans le même rôle au Festival d’Aix-en-Provence en 2004 [lire notre critique], quand elle sombre dans la folie au dernier acte, mais la performance d’ensemble est à saluer. La jalousie maladive est fort bien incarnée, d’abord dans la scène de ménage au début de l’Acte II, puis lorsqu’après avoir tenté d’assassiner Iole, on lui passe une camisole de force.

Le soprano léger Lauren Lodge-Campbell [lire notre chronique de Messiah] séduit dès les premières notes d’Iole, par le grand charme du timbre et à l’articulation très claire du texte. On aimerait que le volume soit un petit peu plus important, les oreilles s’en régaleraient davantage ! D’une remarquable précision d’intonation, ses différents airs sont interprétés avec splendeur, comme le très doux Peaceful rest, dear parent shade au premier acte lorsqu’elle se recueille devant l’urne, en même temps que la scène de l’assassinat de son père, jouée en flashback. Et ce jusqu’au délicat My breast with tender pity swells, deux actes plus tard, qui émeut également les jurés du tribunal examinant le cas de Dejanira.

Côté masculin, l’Hercules du baryton-basse Brandon Cedel est solide, doté d’un chant d’une grande franchise, parfois teinté de l’agressivité du personnage, quand il boit avec ses acolytes soldats et bouscule les captives. Il apparaît régulièrement torse nu avec des ailes pour signifier son appartenance au royaume des morts, des ailes noires cependant, qui caractérisent une figure plutôt malfaisante [lire nos chroniques d’A midsummer night's dream à Genève, Don Giovanni, Serse, Les Troyens et De la maison des morts]. En Hyllus, le ténor Moritz Kallenberg varie son style entre mordant dans un chant engagé et passages plus élégiaques en accord avec les douces mélodies, et il sait aussi alterner sentiments doloristes et vindicatifs au cours d’un même air à plusieurs sections [lire nos chronique de Parsifal et de Der Prinz von Homburg]. On apprécie enfin grandement le contre-ténor James Hall en Lichas, sa voix saine et projetée avec une grande ampleur naturelle, d’une belle qualité sur toute son étendue [lire notre chronique d’A midsummer night's dream à Montpellier].

Très régulièrement sollicités au cours de l’opus, les choristes de l’Händel Festspielchor font un sans-faute, très bien coordonnés même lorsqu’ils sont répartis, par séquences au cours des Actes II et III, de part et d’autre de la salle, cachés derrière des voiles noirs et invisibles du public. Placé à la tête des Deutsche Händel-Solisten, Lars Ulrik Mortensen modèle un beau relief à la musique [lire notre critique de Giulio Cesare in Egitto]. Même dans l’acoustique modérée de la grande salle, les forts contrastes amènent de la diversité au discours orchestral et renforcent les sentiments des solistes, exprimés sur le plateau. Les tempi sont plutôt rapides et les instrumentistes n’en conservent pas moins leur vaillance jusqu’au bout des trois heures de représentation.

IF