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Chroniques
Hervé Niquet et Le Concert Spirituel
Messe à quarante voix d’Alessandro Striggio
Donné par les musiciens et le chœur du Concert Spirituel, ce concert fera date, à plus d’un titre. La toute puissance du son est le choix interprétatif pour une œuvre en elle-même monumentale. Ébloui ou complètement déstabilisé au point de provoquer une controverse chez les festivaliers, personne ne sera indifférent.
Totalement oubliée depuis des décennies, la Messe à quarante voix d’Alessandro Striggio dormait sur les rayonnages de la Bibliothèque Nationale de France où elle fut retrouvée en 1978 par Dominique Visse qui la transcrivit alors (le chercheur récompensé se trouve ce soir dans les chœurs). Le musicologue et claveciniste Davitt Moroney la publia en 2007. Artiste issu de la noblesse mantouane, Striggio travailla à la cour de Cosme de Médicis dont il fut le musicien officiel à partir de 1558. Non seulement compositeur, il fut aussi un violiste de talent dont on dit qu’il « jouait à quatre voix à la fois avec un son d’une telle élégance et d’une telle plénitude qu’il émerveillait ses auditeurs ».
Pour mieux resituer cette messe dans les mouvements en perpétuelles évolutions de son époque et dans celui qui la caractérise particulièrement, le style « baroque monumental », Hervé Niquet a reconstitué un office complet, intégrant les cinq pièces polychorales issues de l’ordinaire composées par Striggio à des pièces provenant d’autres compositeurs quasi contemporains. Tout d’abord, Orazio Benevoli, compositeur romain du début du XVIIe siècle qui composa une Messe à quarante-huit voix pour douze chœurs pour l’inauguration de la Cathédrale de Salzbourg en 1628. Comme Striggio, il utilisait une technique contrapuntique remontant au début du XVIe siècle. Les Dixit Dominus, Laetatus sum, Miserere et Magnificat sont aussi de lui. Pour compléter, Hervé Niquet a choisi la version de la Messe de la Saint Jean de Francesco Corteccia. Du vivant du compositeur mantouan, il était maître de chapelle des Médicis. Enfin, c’est le Memento à huit voix de Claudio Monteverdi qui accompagne la communion.
On suppose que c’est à l’occasion d’une de ces fêtes florentines destinées à célébrer la gloire du maître des lieux que Striggio a conçu sa Messe à quarante voix. Tout comme le motet Ecce beatam lucem qu’il composa sur ce même principe, elle est, par ses parties différentes et simultanées (soixante voix pour l’Agnus Dei), un véritable défi à la perception humaine.Hervé Niquet a volontairement choisi l’Église du Prytanée Militaire de La Flèche dont l’acoustique extrêmement réverbérante en favorise le gigantisme. Il conduit une interprétation fulgurantequi tétanise.
Entrant en procession, une partie des musiciens, dont le quatuor virtuose de Dulciane en tête et le chœur au grand complet, le chef concluant la marche, Le Concert Spirituel prend possession de l’espace. Disposés en cinq chœurs à huit voix, musiciens et choristes ne relâchent pas un seul instant la démentielle énergie bouillonnante et tourmentée que l’on trouve en cette œuvre d’une folle complexité. Réunissant autour de lui la fine fleur du chant et des instrumentistes, tous absolument splendides, Hervé Niquet, d’une précision diabolique et enthousiaste, mène ses troupes vers un absolu totalement époustouflant. Maintenant la cohésion de l’ensemble, sculptant des nuances entre le forte et le fortissimo, faisant surgir la lumière des ténèbres, comme dans le motet conclusif Ecce Beatam Lucem où un soprano lutte et triomphe contre les chœurs d’hommes. Le seul instant de paix est celui de la communion sur le Memento de Monteverdi où les chœurs suggèrent la fin des tourments par des nuances plus délicates qu’un voile, reprenant ensuite une élévation glorieuse, soutenue par la force d’une foi inébranlable, vers l’infini.
Au milieu d’un chœur en permanente ébullition avec des musiciens piliers célestes, Le Concert Spirituel livre une exécution qui ne peut laisser indifférent. Splendides, rayonnants et à bout de force, de cette messe ils offrent une version héroïque et triomphale.
MP