Chroniques

par irma foletti

Hippolyte et Aricie
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau

Deutsche Staatsoper Unter den Linden, Berlin
- 11 novembre 2021
Unter den Linden, Simon Rattle joue "Hippolyte et Aricie" de Rameau
© karl und monika forster

Dans le cadre des Barocktage (du 5 au 14 novembre), la Deutsche Staatsoper Unter den Linden reprend sa production d’Hippolyte et Aricie, créée en 2018, et dont c’est ce soir la huitième représentation ; elle partage l’affiche avec Idoménée de Campra et Orfeo ed Euridice de Gluck. La mise en scène d’Aletta Collins, qui règle également la chorégraphie, s’éloigne très nettement de l’époque de Rameau et propose des images d’un futurisme un peu désuet des années 1970-1980.

Le concept principal est le jeu sur les lumières, travaillées par Ólafur Elíasson et Olaf Freese, le premier étant aussi en charge de la scénographie et des costumes. Ainsi le Prologue se déroule-t-il sous des rais de lumière qui barrent en tous sens le plateau obscur, les choristes portant en mains un miroir et un second sur l’extrémité de leur chapeau. Certains costumes réfléchissent également les rayons, en premier lieu la robe de Phèdre faite de morceaux de miroirs, mais aussi le mini-four solaire que porte la Grande Prêtresse de Diane au-dessus de la tête ou encore la boule à facettes à l’aplomb de la fosse d’orchestre qui fait tourner ses couleurs dans la salle. Certaines images font sans doute rétro – comme chaque sphère aux bandes lumineuses que portent d’abord Thésée, Tisiphone et Pluton, ou encore la charpente métallique à l’avant-scène pour l’Acte III –, mais d’autres séduisent sans retenue – par exemple, la fumée et les lumières de couleur rasantes formant comme une mer de nuages au dernier acte, les corps d’Hippolyte et d’Aricie s’avançant au-dessus du nombril.

Les nombreuses danses se détachent sensiblement du baroque le plus attendu, un décalage cependant en harmonie avec l’identité du spectacle. C’est d’abord une boîte de grands miroirs partant en fuite vers l’arrière de la scène qui donne l’illusion de la démultiplication des danseurs et danseuses évoluant à l’intérieur. Au cours de la soirée, les chorégraphies sont en général plutôt lentes et amples, davantage martiales qu’infernales au deuxième acte, plus hiératiques par la suite devant une paroi où en surface se reflètent de calmes ondes.

Placé sous la direction de Simon Rattle, c’est le Freiburger Barockorchester qui joue, autant dire un grand spécialiste de ce répertoire. Dans l’acoustique pleine et riche de ce théâtre, avec un équilibre idéal entre fosse et plateau, on apprécie l’énergie et le savoir-faire des musiciens et du chef. La dynamique est présente, mais sans à-coups, et les contrastes sont marqués, avec naturel et sans choquer. Les instrumentistes, dont certains se lèvent afin de produire davantage de son lorsqu’ils ont à jouer (violons, altos et bois), se montrent techniquement impeccables.

Au sein du couple Hippolyte et Aricie, c’est le premier qui impressionne le plus en la personne de Reinoud Van Mechelen, par la diction exceptionnelle, la ligne vocale élégante et expressive, les variations de nuances entre forte et piano, le haute-contre ayant gagné significativement en volume ces dernières années. Le démarrage d’Anna Prohaska perturbe légèrement avec, certes, une voix projetée et d’un timbre agréable, mais aussi quelques sons fixes et un certain manque de moelleux qui empêchent la pleine séduction. On succombe tout de même par la suite, en particulier au cinquième acte, grâce à la souplesse du chant et à la précision musicale, ainsi qu’aux efforts d’élocution. Distribuée en Phèdre, Magdalena Kožená est encore meilleure pour la compréhension du texte, émis dans un format vocal plus lyrique. L’interprète joue également sur le registre du théâtre et de l’émotion, en particulier au cours de son grand air du III, Cruelle mère des amours.

Le baryton hongrois Gyula Orendt défend Thésée avec d’appréciables qualités, d’abord une prononciation très correcte du français, puis une voix ferme et joliment timbrée, s’épanouissant avec le plus de force dans les notes les plus élevées [lire nos chronqiues d’Orfeo, Violetter Schnee, Lessons in love and violence, Sometime voices et Le nozze di Figaro]. La basse française Jérôme Varnier produit grand effet en Pluton, de son grave abyssal, effrayant dans l’air de fureur Que l’Averne, que le Ténare, le Cocyte, le Phlégéton. Benjamin Chamandy (Tisiphone) et Michael Smallwood (Mercure) se montrent vaillants eux aussi, tout comme les trois Parques – Magnus Dietrich (ténor), Arttu Kataja (baryton) et Frederic Jost (basse) – qui torturent Thésée en pointant sur lui des lumières laser vertes. Adriane Queiroz (Œnone) déploie une voix de caractère mais dans un français perfectible. Le Staatsopernchor garde sa cohérence – ses artistes chantent le plus souvent dans la fosse –, dans un français d’une qualité correcte.

IF