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Chroniques
hommage à Dmitri Chostakovitch
Parce que le centenaire de la naissance de Dmitri Chostakovitch fut fêté tout au long de cette année 2006, il paraîtra naturel d’adresser au compositeur soviétique un hommage supplémentaire, saluant ainsi l’arrivée d’une nouvelle année – c’était aujourd’hui même le premier jour de l’an russe 2007. Cinq instrumentistes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris conjuguent leurs talents afin d’offrir au public trois des grandes pages chambristes du pétersbourgeois.
Après l’indicible tourmente de l’affaire Lady Macbeth de Mzensk et malgré une Symphonie n°5 prudemment conforme à ce qu’alors on attendait de lui, Chostakovitch est largement en disgrâce. Suite à la création de sa Sixième, en novembre 1939, l’artiste produit des travaux moins compromettants pour le cinéma (films de Tsekhanovski, Ermler, Mintz, etc.) ainsi qu’une musique pour Le Roi Lear que Grigori Kozintsev mettait en scène au théâtre – partition en partie réutilisée pour le film réalisé en 1970 [lire notre chronique du 22 octobre 2006] –, de même qu’il accepte pour Samossoud de réorchestrer le Boris Godounov de Moussorgski, alors systématiquement joué dans la version de Rimski-Korsakov. On ne comptera que deux pages plus personnelles sur toute l’année 1940 : les Trois mouvements pour violon seul et l’imposant Quintette en sol mineur avec piano Op.57 qu’il créerait lui-même au clavier, à Moscou fin novembre. Regardant largement vers le passé, cette œuvre à la forme inhabituellement claire pour son auteur étonna, mais la surprise dut être plus grande encore lorsque le Comité du Prix Staline la couronna d’une Prix de Première classe, au printemps suivant !
Dès le tutti introductif du Prélude (Lento), on remarque la qualité du son de Pierre Lenert à l’alto, l’effet se confirmant dans le solo suivant, élégant et inspiré. La Fugue (Adagio) s’avère d’une grande tenue, mais on y regrette un violoncelle (Martine Bailly) trop effacé, ce qui suscite des soucis d’équilibre général. Après un Scherzo (Allegretto) assez laborieux, l’Intermezzo (Lento) déploie son lyrisme avec plus de conviction. Toutefois, l’Allegretto final manque d’envergure.
Durant les trois années suivantes, Chostakovitch fut acclamer pour sa Leningrad et sa Stalingrad (Symphonie Op.60 n°7 et Symphonie Op.65 n°8) ; ayant principalement composé pour de grandes formations (orchestre, voix et orchestre, chœur et orchestre, chœur a cappella, etc.), il concédait au piano une Sonate n°2 et les sept petites pièces du Cahier pour les enfants. Parmi des hymnes patriotiques tout-à-fait officiels, on rencontre néanmoins deux pages créées lors du même concert à Leningrad (14 novembre 1944) : le Quatuor à cordes en la majeur Op.68 n°2 et le Trio en mi mineur Op.67 n°2 programmé ce soir. Il est dédié à la mémoire du musicologue Ivan Sollertinski emporté par une crise cardiaque quelques mois plus tôt, un homme qui partageait avec l’auteur sa passion de la musique de Mahler, qui lui fut particulièrement dévoué en toutes occasions, au point qu’on lui fit subir l’ouragan de l’affairecité plus haut.
Ce sont les frêles harmoniques du violoncelle qui ouvrent le concert, dans la mélodie désolée de l’Andante initial du Trio n°2 plaçant la soirée dans un climat recueilli. L’arrivée du violon survient dans la même fragilité, mais le piano de Jean-Marc Bonn rompt maladroitement par une sonorité qu’on attend plus feutrée. En revanche, ce musicien conduit le bref Allegro non troppo avec beaucoup de relief, souligné par l’âpreté de ses partenaires. C’est, bien sûr, dans le Largo que l’on rencontre l’élégie funèbre à laquelle s’enchaîne finalement un Allegretto sévère. Souffrant de trop nombreuses approximations, la présente lecture ne satisfait guère.
L’émotion est au rendez-vous avec les Sept romances sur des poèmes d’Alexander Blok dont le soprano russe Elena Zelenskaïa livre une interprétation tant sensible qu’inspirée. Plus tardive, l’œuvre est contemporaine du Concerto pour violon Op.129 n°2 créé par David Oïstrakh la même année (1967) ; lors de la première à Moscou, Oïstrakh au violon, Mieczyslaw Weinberg au piano et Mstislav Rostropovitch au violoncelle accompagnaient Galina Vichnevskaïa à qui Chostakovitch à dédié ce cycle. Avec une riche couleur vocale, un soin méticuleux des attaques et un bel éventail expressif, Elena Zelenskaïa habite le Chant d’Ophélie, terrifie dans Gamayoun, attendrit Nous étions ensemble, le charisme de cette voix opérant somptueusement dans Signes secrets.
BB