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Chroniques
hommage à Gérard Frémy par Alberta Alexandrescu,
Sodi Braide, Géraldine Dutroncy, Nicolas Stavy, Robert Télian,
En début d’année disparaissait le pianiste, compositeur et pédagogue français Gérard Frémy, défenseur convaincu de la musique de son temps, dont celle de John Cage qu’il marquait par son interprétation des Sonatas and Interludes for prepared piano (1948). Outre la création nord-américaine (Morton Feldman, Steve Reich, Terry Riley, Christian Wolff), il servit les musiciens européens, tels Luciano Berio, Michèle Bokanowski, Luc Ferrari, Pierre Mariétan, Hélène Radigue, Karlheinz Stockhausen ou encore Ivan Wyschnegradsky. En quinze années d’enseignement au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Gérard Frémy a formé de nombreux artistes et non des moindres. Neuf d’entre eux se réunissent ce soir dans la salle d’art lyrique où lui rendre un bel hommage public, en forme de portrait – « autobiophonie », nous dit Karolos Zouganelis dans son bref préambule.
Dans le noir, une lumière rousse semble sourdre de la table du piano. Les haut-parleurs font entendre des extraits des Davidsbündlertänze de Robert Schumann par le maître dont l’image photographique projetée paraît d’un proche lointain regarder l’assistance [notre illustration]. Elle s’efface avec l’entrée de Robert Télian qui, à l’instar de son professeur, obtint son 1er prix de piano à l’âge de seize ans ; en 1951, Frémy avait impressionné avec les Variationen über ein Thema von Paganini Op.35 de Johannes Brahms : c’est avec cette page que Télian ouvre la soirée. Il en livre une lecture vigoureuse, sans emphase alanguie, osant jusqu’à la sécheresse relative – bénie, pourrait-on dire ! Lui succède Alberta Alexandrescu dans la Sonate Op.53 n°5 d’Alexandre Scriabine dont peu à peu elle enfle le caractère orchestral avec un nerf indicible. Voilà qui suit le parcours du maître : en 1956, choisi comme boursier du gouvernement soviétique par Marcel Dupré pour l’Association française d’action artistique, Frémy partait pour Moscou où il approfondit son art auprès d’Heinrich Neuhaus. En URSS, il donnera une quarantaine de récitals.
Au compositeur Pierre Mariétan de prendre le micro. Il évoque le pianiste, complice et ami de toujours que fut Gérard Frémy, créateur de plusieurs de ses œuvres dont Pointcontrepoint I et II, opus qu’il présente avant de faire place à Géraldine Dutroncy ; au clavier, la musicienne répond au dédicataire qui enregistrait les vingt-huit pianos d’une bande montée par l’auteur. La démultiplication des attaques accelerando invente une fascinante constellation miroitante. Un enregistrement conclut cette première partie : celui de la Sonate 12 des Sonatas and Interludes de Cage par Frémy qui, en Suisse il y a peu, transmettait avec enthousiasme son héritage cagien aux pianistes de demain.
Après l’entracte, c’est aux compositeurs de prédilections de Frémy (interprète et enseignant) qu’emprunt sera fait. Dans une lumière vertigineusement inspirée, Sodi Braide livre Nun, komm', der Heiden Heiland BWV 659 de Bach (version Busoni), qu’il prolonge avec le serein Jesus bleibet meine Freude BWV 147 dans la transcription de la pianiste britannique Myra Hess (1890-1965). À ce moment de grâce répondent quatre des innombrables sonates de Scarlatti – divine ciselure en ré majeur K.443, tendre cantabile recueilli en ré mineur K.32, raffinement concentré en sol mineur Op.posth., inquiète fluidité en sol majeur K.125 – sous les doigts de Dimitri Vassilakis qui poursuivent là une investigation précieuse, dans le meilleur sens du terme [lire notre chronique du 27 juin 2005]. Schumann, à nouveau : Nicolas Stavy donne une Arabeske Op.18 à l’inflexion très intérieure, suivie de l’Impromptu en sol bémol majeur (Andante) D.899 n°3 (Op.90) de Schubert, discrètement soyeux.
Avec le violoniste et compositeur Davy Erlih (disparu accidentellement en février 2012), Gérard Frémy a souvent joué Béla Bartók. Cédric Tiberghien offre Az éjszaka zenéje, quatrième pièce de la suite Szabadban de 1926, dont il distille savamment le mystère. Puis Karolos Zouganelis s’engage dans le lyrisme noble et simple, sans extase superfétatoire, de l’Andante de la Sonate en sol mineur pour violoncelle et piano Op.19 de Sergueï Rachmaninov, adapté pour piano solo par Arcadi Volodos. Le mot de la fin revient à l’excellent Ferenc Vizi, absorbé par l’Adagio de la Sonate en ut mineur Op.111 (n°32) de Beethoven, passionnément dense.
BB