Chroniques

par françois cavaillès

hommage à Maurice Ravel
Trio en la mineur – Quatuor à cordes en fa majeur

Marion Duchesne, Christine Lagniel, Cédric Laroque, Lise Martel et Tatjana Uhde
Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 24 septembre 2017
les musiciens de l'Opéra national de Paris rendent hommage à Maurice Ravel
© dr

Pour les quatre-vingt ans de sa disparition, hommage est rendu à Maurice Ravel (1875-1937) par l'Opéra national de Paris. Pourtant le compositeur parisien n'a signé aucun opéra à proprement parler, en dépit des efforts en ce sens jusqu'au terme de sa longue maladie neurologique. « Je ne ferai jamais ma Jeanne d’Arc ; cet opéra est là, dans ma tête, je l’entends, mais je ne l’écrirai plus jamais, c’est fini, je ne peux plus écrire ma musique », regrette-t-il en 1933. Tout de même figurent au répertoire de la grande boutique L'enfant et les sortilèges, fantaisie lyrique de 1925, et L'heure espagnole de 1911, plutôt comédie musicale ou conversation en musique, selon son auteur, ra reprise à Bastille au printemps prochain.

Aujourd'hui, si, dans les plus récents récits d'inspiration biographique, sa vie nous paraît sous un jour gris, sa musique de chambre en avive l'éclat par la force du créateur. Preuve en est donnée avec les deux seules contributions de Ravel au genre, lors du premier midi musical (concert d'une heure) de la nouvelle saison. Original, ravagé et fantastique, le Trio avec piano en la mineur date de 1914. Année sombre. Ravel ne taira pas plus les horreurs de la guerre dans sa musique qu’il ne s'en cachera dans sa vie de citoyen, exempté pour raisons de santé mais insistant pour s'engager comme ambulancier sur le front (entre mars 1916 et juin 1917).

Le climat des sentiers de la gloire est sensible dès le premier mouvement, Modéré. À la tristesse enfantine des premières notes du piano de Christine Lagniel et du violoncelle, alors comme pierreux, de Tatjana Uhde, succède la complexité et la modernité d'un propos très mélodieux porté par les cordes déployées et très excitées. Le trio remonte ensuite à des heures lugubres, passées ou à venir, comme un sentiment de fin de carrière. Mais le merveilleux Pantoum (d'après cette figure de style poétique rare, aux lointaines origines malaises) lui insuffle de magnifiques élans de danse possédée, accompagnés de beaux pépiements selon une sorte de mathématique à l'effet consternant, accélérée et très enlevée sur sa fin. La grâce mélodique du violon de Lise Martel et la fabuleuse marche lente du piano expriment dans la Passacaille, nerveuse et funèbre, la force motrice vitale et une conception intransigeante mais généreuse de la musique face à la dévastation guerrière et aux nationalismes. Au final, Animé, vibrant en apothéose, aux aigus prodigieux à l'alto, le public est conquis, les musiciens croulent sous les applaudissements, l'art de Ravel réserve une confession plus tragique et anxieuse encore.

Le Quatuor à cordes en fa majeur, composé essentiellement en 1903, comporte bien, en près d'une demi-heure d'aventures musicales faramineuses, un peu d'espoir, notamment dans le pincé des cordes des violons de Lise Martel et Cédric Laroque, et aussi un soupçon d'espièglerie. Remarquable dans l'Allegro moderato, l'alto de Marion Duchesne a une classe folle et, dans ces pages françaises gorgées de cultures musicales internationales, refusant toute répétition facile, le jeune quatuor dans son ensemble rend un juste hommage à Ravel, aux plus grandes compositions jamais écrites par lui ou emportées par sa mémoire.

FC