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Chroniques
hommage à Stanley Kubrick
œuvres de Béla Bartók et György Ligeti
Temple de la radio, la maison ronde aime aussi fêter le cinéma. Outre des rendez-vous récurrents avec le ciné-concert, animés par un improvisateur ou un ensemble [lire nos chroniques du 8 mai 2016 et du 27 octobre 2017], l’institution invite ses formations à jouer des partitions connues pour avoir accompagné, conçues ou non dans cet optique, la projection d’images. Disparu voilà vingt ans, l’Américain Stanley Kubrick (1928-1999) est mis à l’honneur d’un week-end, lui qui laisse à la postérité neuf longs métrages et la réputation d’avoir soigné leur bande-son jusqu’à la méticulosité – pensons à celle de Barry Lyndon (1975), à l’écoute demain soir, qui invite Bach, Haydn, Händel, Purcell et Vivaldi, là où d’autres se seraient contenté d’une ou deux références savantes, pour faire couleur d’époque.
Le 3 avril 1968, au lendemain de son avant-première à Washington, 2001: a space Odyssey sort dans les salles étasuniennes. Comme le rappelle Michel Chion dans son livre de référence La musique au cinéma – dont vient de paraître la seconde version, revue et augmentée [lire notre critique de l’ouvrage] –, Kubrick a renoncé à la partition d’Alex North (1910-1991), déjà présent pour Spartacus (1960), en faveur des musiques temporaires ayant servi au montage, signées Strauss, Khatchatourian et György Ligeti (1923-2006)*. Grand admirateur de Nancarrow – « ce sont ses Studies for player pianoqui m’ont enseigné la complexité rythmique et métrique » –, le Hongrois fit créer Atmosphères quelques années plus tôt (Donaueschingen, 1961), une œuvre à l’écriture très dense qu’il nomme micropolyphonie ou polyphonie saturée. Bourdonnements de cordes, percées de piccolos et cuivres bouchés sculptent un objet moiré, tournoyant, qui dévoilent de nouvelles plaines après des acmés saisissantes. Alan Gilbert et l’Orchestre Philharmonique de Radio France subliment ces dix minutes idéales pour évoquer les mystères de l’espace et du temps, la germination de menaces ou de merveilles, en amont de la projection du chef-d’œuvre, demain à 17h, avec d’autres interprètes dont nos pages se feront l’écho.
De Béla Bartók (1881-1945), le Concerto pour piano et orchestre n°3 (Philadelphie, 1946), créé à titre posthume par Sándor et Ormandy, ne laisse rien paraître d’une fin de vie en exil aux États-Unis, dans le dénuement et la maladie. Bertrand Chamayou apporte beaucoup de relief à l’Allegretto initial, pianiste nuancé et dynamique à l’inverse d’un orchestre soumis à un tempo languide. Avant de passer à l’Adagio religioso, globalement tendre, où le soliste migre d’une douleur digne à une facétie lyrique, résonnent ces applaudissements chaleureux qui hérissent le puriste mais prouvent que le cinéma est un bon moyen pour faire découvrir le concert savant au néophyte. Enchaîné, l’Allegro vivace final est servi par un ensemble oscillant entre élégance et rudesse, qui jouxte Chamayou virtuose [lire notre chronique du 21 décembre 2011].
Retour à Ligeti et 2001, juste après l’entracte. Décidément soucieux de surprendre les amateurs d’images avec les sons d’une avant-garde musicale qu’ils ignorent, Stanley Kubrick trouve chez le futur père du Grand Macabre [lire notre chronique du DVD] une autre pièce aux effets de masse et de tuilage : Lux aeterna (Stuttgart, 1966). En fond de scène baignée de clair-obscur, huit femmes et huit hommes issus du Chœur de Radio France livrent une page paisible et troublante qui rendit plus mémorable encore la découverte à l’écran du monolithe lunaire. Qu’a pensé Ligeti de sa collaboration avec le réalisateur ? Grâce à Steve Reich, rencontré cinq ans après la sortie de cet étalon de la science-fiction, nous savons que le musicien a plaisanté sur l’argent gagné, c’est-à-dire « qu’il s’était fait totalement rouler par Kubrick » (in Différentes phases, La rue musicale, 2016 [lire notre critique de l’ouvrage] !
Après l’épopée cosmique, le huis-clos fantastique. Ceux pour qui une tête tournant à 360° aura définitivement chassé The Exorcist (1973) du panthéon des œuvres culte auront sans doute élu The Shinning (1980) parmi leurs cinq films d’angoisse préférés. Car que faire contre une possession qui n’a rien de diabolique ? Outre Penderecki (Utrenja, etc.) et à nouveau Ligeti (Lontano), Kubrick soigne sa bande-son anxiogène en empruntant à Bartók cinq minutes du troisième mouvement de Musique pour cordes, percussion et célesta (Bâle, 1937). Fugue lente aux cordes paisibles, l’Andante tranquillo s’affirme de plus en plus tourmenté. On apprécie ensuite l’énergie clairement canalisée par Alan Gilbert, décidément excellent, dans un Allegro dansant, d’inspiration populaire. Puis vient le fameux Adagio évoqué, tour à tour mystérieux, inquiétant et insidieux. Enfin arrive, comme antidote à tant de ténèbres, l’Allegro molto, espiègle et solaire.
LB
* Pour le site Konbini, Keir Duella (Bowmann), ayant définit le film comme
une « symphonie visuelle », évoque aussi la Sinfonia antartica (1953) de Ralph Vaughan Williams
que l’on diffusait sur le plateau pour la scène de l’inquiétante capture qui entraîne
son personnage loin du vaisseau Discovery One.