Chroniques

par laurent bergnach

hommage au couple Berberian | Berio
Carin Gilfry, Andrea Hill et Donatienne Michel-Dansac

Auditorium du Louvre, Paris
- 25 novembre 2009
Cathy Berberian, diva contemporaine, complice de Luciano Berio
© dr

L'alexandrin est connu : « Un seul être vous manque », etc. Souffrante, Letitia Singleton n'a pu participer à un concert qui reste programmé grâce à l'intervention de deux de ses consœurs. Le dépeuplement est donc doublement évité, mais au détriment d'un certain déséquilibre dont nous prenons conscience au fur et à mesure de la soirée. En 1978, Cathy Berberian (1925-1983) déclarait à un journaliste : « je ne veux pas entendre parler de tradition : ce mot masque souvent paresse, manque de fantaisie et peu de courage. Que signifie tradition ? Que quelqu'un a inventé quelque chose et que les autres l'on singé jusqu'à ce que cela devienne règle ». Elle-même, vingt ans plus tôt, n'hésite pas à bousculer la muse de Berio en affichant son goût pour le comic strip, hérité de son enfance américaine. Tandis que le Pop Art en recycle les images, en musicienne « inventeur de gimmicks malins », Berberian s'intéresse aux onomatopées. Stripsody (1966) en comporte de très nombreuses, épicées de citations connues (« It's Supermaaan ! »). Entre la partition dessinée par Roberto Zamarin et les images d'Eugenio Carmi qui servaient de décor à l'interprète originale (ici projetées), Donatienne Michel-Dansac fait preuve de drôlerie mais aussi de prudence.

Suivent des œuvres de Luciano Berio produites dans ces mêmes années : Circles (1960), défendu par la voix claire et chaudement nuancée du mezzo Carin Gilfry, et Folk songs (1964) que la Canadienne Andrea Hill – qui chantait Ravel tout dernièrement [lire notre chronique du 27 juin 2009] – investie d'entrée. Elle impose un chant souple et corsé (Black is the color…), un sens du phrasé évident (Loosin yelav), naviguant entre retenue (Motettu de tristura) et juste ce qu'il faut d'abattage (Azerbaijan love song).

Avec Kurt Weill arrangé par l'auteur du Recital I for Cathy entre 1967 et 1972, les musiciens de l'Orchestre de l’Opéra national de Paris répondent à la battue tonique de Marius Stieghorst, après avoir fait preuve de délicatesse. À nouveau sur scène, Donatienne Michel-Dansac enchaîne trois pièces avec plus ou moins de bonheur. Vénéneux et nasillard (Ballade von der sexuel-len Hörigkeit), sirupeux et pourtant raide (Le Grand Lustucru), minaudant et criard (Surabaya Johnny), le soprano propose des pistes de jeu intéressantes que la voix s'ingénie à saboter.

Initialement prévue au programme, Andrea Hill semble donc la plus à l'aise de la soirée qu'elle clôt avec un dernier hommage au couple Berberian | Berio. Parce qu'ils allient l'esprit des traditions à celui des nouvelles générations, la cantatrice adorait The Beatles qu'elle considérait comme « les derniers classiques de la musique de consommation ». Co-signées Lennon-Mc Cartney, adaptés par Luciano en 1967, le sobre Yesterday (flute, clavecin, violoncelle) et l'ornemental Ticket to ride sont suivi de Michelle, que la chanteuse pouvait teinter de musical mais qu'elle tient droit.

LB