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how long does the subject linger on the edge of the volume…
Geometry of Quiet – PRESENT TENSE – Winterreise
En 2003, l'Opéra national de Paris invitait la chorégraphe américaine Trisha Brown pour un cycle de trois ans qui permit l'entrée à son répertoire de Glacial Decoy (1979) et la création de O zlozony. En ce début d'année, la compagnie revient avec deux programmes, dont une grande partie est donnée en première française. C'est le cas de How long does the subject linger on the edge of the volume…, un ballet convoquant sept solistes, créé au printemps dernier à l'Arizona State University de Tempe. Dans l'interactivité investie entre danseurs, geste chorégraphique, analyse du mouvement et schème projeté, le projet rejoint les performances de l'époque du Judson Dance Theater. Avec la complicité de Curtis Bahn, chercheur en intelligence artificielle, et de Paul Kaiser et Shelley Eshkar, artistes multimédias, Trisha Brown immerge son esthétique dans l'art numérique. À l'avant-scène, un tulle transparent sert de toile au graphisme, témoin en trois dimensions du travail des corps en mouvement et de leur positionnement dans l'espace scénique, grâce à un complexe relais, de capteurs sensoriels en caméras infrarouges vers un logiciel livrant les données à Kaiser et Eshkar. Le dessin qui en résulte, précédant le mouvement d'un protagoniste, le suivant, l'achevant, le décomposant ou l'accompagnant, est une sorte de spectre, parfois proche de l'énergie de Bacon et de Velicovic, qui, dans son voyage en divers lieux de la toile, pose différemment les questions d'écriture du geste chorégraphique.
Autre création française, Winterreise (2ème programme), livrée au John Jay College Theater de New York en 2002, fait partie d'une redécouverte par la chorégraphe de la musique classique comme élément de travail possible, celle-ci s'étant par ailleurs entourée des protections imaginaires de Bach, Bizet, Monteverdi ou Webern. Initiée dès le début avec le baryton Simon Keenlyside, la réalisation tient du chef-d'œuvre, hissant son investigation en un rite qui révèle l'expressivité débridée autant que l'improbable rapport au monde du cycle de Schubert, dès lors plus bouleversant que jamais.
Les deux autres pages du 1er programme ont vu le jour dans le sud de la France. À Montpellier était donné en 2002 Geometry of Quiet. Six corps, conçus comme des volumes à déplacer plutôt qu'ils se déplaceraient eux-mêmes, évoluent dans un espace délimité par des draps de soie blanche, confrontant une sorte d'éloge de la lenteur à L'Orizzonte luminoso di Aton et Canzona di ringraziamento, deux pièces pour flûte de Salvatore Sciarrino, interprétées enlive parMario Caroli. Deux solistes déploient les repères de la scène, dans le silence, sans théâtraliser l'action ; une femme fait claquer un drap comme pour mieux fixer, par cette envolée lyrique inattendue, une relative inertie psychologique. Et tandis que le musicien s'engage dans la première partition, les autres danseurs déclinent une gestique empreinte d'une certaine précaution, proche d'une contemplation active, qui fonctionne tant avec le jeu sur le souffle qu'avec la toux, arpèges percussifs du flûtiste. Et lorsque celui-ci se fait plus volubile avec la seconde œuvre, les danseurs engluent peu à peu leur mouvement en une installation à peine vibrante. À l'inverse de ces empilements, le sujet de Present Tense, créé à Cannes en décembre 2003, est bien la tension : celle d'un corps qui saute, d'un corps que l'on retient ; tension des corps qui s'échangent un corps, qui réceptionnent un corps, ou qui en soutiennent le repos et l'abandon. La crudité des couleurs des costumes vibre avec les volumes de la toile d’Elisabeth Murray devant laquelle un joyeux cérémonial d'un minimalisme conceptuel s'accomplit sur une musique obsessionnelle tendant à l'immobilisme : soit six pièces extraites des Sonates et interludes pour piano préparé de John Cage, ici jouées en fosse par Pedja Muzijevic.
BB