Recherche
Chroniques
Hugo Wolf | Spanisches Liederbuch
Christian Gerhaher, Julia Kleiter et Ammiel Bushakevitz
Au cœur d’une impressionnante succession de représentations d’opéra, la Bayerische Staatsoper permet de découvrir les productions portées à la scène durant la saison qui vient de s’achever et propose des nouveautés, créées durant le festival, qui intègreront la programmation 2022/23 ; encore est-ce l’occasion de voir ou revoir des spectacles anciens, dont certains ont même pris l’aura de témoignages historiques. Dans ce passionnant marathon, que défendent admirablement des équipes vocales de très haut niveau, se glissent trois soirées d’un raffinement exquis, consacrées à trois cycles de Lieder d’Hugo Wolf. Pour ce faire, le baryton bavarois Christian Gerhaher invite des cantatrices complices : Anna Prohaska pour les Mörike-Lieder (29 juillet), Anna Lucia Richter pour l’Italianisches Liederbuch (15 juillet), enfin le soprano hessois Julia Kleiter, ce soir dans le Spanisches Liederbuch.
Plutôt que d’enchaîner chacune de ces mélodies, souvent brèves, dans une suite non raisonnée, les artistes les ont regroupées suivant deux catégories, Chants spirituels d’une part, Chants profanes de l’autre. Julia Kleiter ouvre la première partie où elle révèle peu à peu une onctuosité vocale de toute beauté. Gerhaher d’y faire bientôt son entrée, en diseur ciselant les modes d’expression, quitte à paraître ne pas chanter, au fond. C’est à la dame que le lyrisme est confié, et elle s’en acquitte merveilleusement bien, soutenue par un piano inventif, souvent sec, voire cru, toujours remarquablement nuancé. On doit à Ammiel Bushakevitz une interprétation finement dosée, à l’écoute des voix, bien sûr, et plus encore de la fantaisie inouïe du compositeur, toujours dans un frémissement sans pareil à changer climats et sujets. Aucun duo dans ces pages, uniquement l’alternance non stricte des deux gosiers, accompagnés avec une étonnante palette de nuances et de couleurs.
À l’atmosphère tour à tour recueillie, tourmentée ou méditative d’une dizaine de Geistliche Lieder se substituent deux moments où s’articulent les aphorismes parfois truculents des Weltliche Lieder, en plus grand nombre. Et c’est avec eux que les styles croisent peu à peu les mêmes eaux, le contraste entre les deux artistes prenant pour commencer un abord presque contrarié. Le subtil travail du baryton fait ici merveille à dire le Lied, quand Julia Kleiter prend ses marques, abandonnant la réserve un peu guidée des premiers moments. De chorals en balades, une narration trace une route dans le grand œuvre, laissant soin au compositeur de surprendre toujours, avec cette puissance légère qui caractérise son œuvre. Ainsi est-ce pendant près d’une heure et quart que l’on peut apprécier la verve wolfienne, défendue avec un art délicieux.
BB