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Chroniques
Hyperion | Hypérion
action scénique de Bruno Maderna
D’une criante actualité s’avère le curieux Hyperion de Bruno Maderna, encore vivement dérangeant à ce jour, comme en témoignent les nombreux départs bougons de spectateurs venus naïvement se divertir à la Staatsoper. L’indéniable qualité du travail des maîtres d’œuvre de cette nouvelle production n’est certes pas à mettre en cause, mais force est de constater à son impact le pouvoir d’acculer certains au refus, un refus qui se pourra lire comme un renoncement à la réflexion, à la conscience du monde et de soi, à la responsabilité, tout simplement, ou encore un désir avoué de flottement léger, pour ne pas dire sot, dans un hypothétique cours des choses. Bref, rien de rassurant.
Lorsque le compositeur vénitien rassemble plusieurs de ses partitions qui constitueront une œuvre se référant à Hölderlin sans en illustrer la littérarité – mais concentrant ses efforts sur l’idée qu’elle présente de l’aliénation du poète dans la société qui l’entoure, soit l’impossible condition de vie et d’exercice de l’homme en général et de l’artiste en particulier dans le monde d’aujourd’hui –, il n’achève pas sa forme, laissant vivre au fil des années un work in progress déroutant. Les versions de 1964, 1968 et 1970 diffèrent, bien sûr, de même celle que Péter Eötvös proposait au Festival d’Automne à Paris en 1992 et celle révélée à Stuttgart, il y a une semaine (première le 16 février).
Le dramaturge Sergio Morabito et le metteur en scène Karsten Wiegland se sont vraisemblablement interrogés sur le déroulement à donner à une action qui s’inscrit parfaitement dans le riche ferment de questions et de doutes que vécut le théâtre musical italien dès la fin des années cinquante, une action scénique en forme de concert dont le lyrisme omniprésent contredit génialement l’absence de recours à une narration conventionnelle. Inventif et sensible, le résultat obéit auje-ne-sais-quoi d’étrange de cet objet de théâtre en musique.
Lorsque nous gagnons notre place, des enfants jouent à l’avant-scène.
La fosse est recouverte. On aperçoit un kiosque à gauche, des chaises pliantes à droite. Le jardin est bientôt envahi d’adultes endimanchés, sur une tendre et inquiète mélopée de hautbois. On l’aura compris : tout, ce soir, est théâtre, de la géographie de plateau au cérémonial concertant. En campant avec une précision féroce des types dans l’assemblée qui assistera au concert, la réalisation donne de nombreux accès possibles et, pour ainsi dire, naturels, au propos. Non sans humour, elle souligne les situations tout en faisant vivre divers événements subalternes dont le souvenir aidera la cristallisation d’un drame d’abord montré en riant : les mots d’Hölderlin qu’on s’évertue à rendre muet, au final.
Outre l’ingéniosité du procédé, on notera la richesse des effets acoustiques qu’il rend possibles, plaçant l’orchestre en fond de scène et un concertino de cordes dans le kiosque, ce qui favorise une profondeur d’émission inhabituelle dans un théâtre lyrique. À la tête des musiciens du Staatsorchester, Enrique Mazzola dirige une interprétation précise qui profite de la tension de la musique de Maderna, en révélant les contrastes comme l’éloquence. De même saluera-t-on la grande efficacité des artistes des Chœurs et du Chœur d’Enfants de l’Opéra de Stuttgart, à l’aise dans des sollicitations pourtant difficiles. Présente dès le commencement, Melanie Walz libèrera l’aria de La Femme dans le dernier tiers de la représentation, d’un timbre chaleureux et envoûtant.
Enfin, Mario Caroli est un poète en flûtiste un rien lunaire, auquel répond la présence à l’inverse solidement ancrée, voire patibulaire, de l’acteur Bernd Grawert, dont le second solo (après une première intervention au piccolo) semble pouvoir charmer l’auditoire qui, tout compte fait, ne percevra pas l’urgente nécessité du dire artistique.
BB