Chroniques

par katy oberlé

I due Foscari | Les deux Foscari
opéra de Giuseppe Verdi

Festival Verdi / Teatro Regio, Parme
- 11 octobre 2019
Nouvelle production de "I due Foscari" au Festival Verdi, signée Leo Muscato
© roberto ricci | teatro regio di parma

L’arrivée de l’automne, c’est aussi le temps d’un de plus importants évènements musicaux d’Italie, le Festival Verdi ! Aussi, après huit heures de route commencées en longeant le Rhin, puis à travers la montagne suisse jusqu’aux arbres typiques de la plaine du Pô, retrouvons-nous avec un plaisir immense la très accueillante cité de Parme, si importante dans la carrière du compositeur, où s’allieront avec bonheur les merveilles de la table et celles du théâtre lyrique, durant quatre jours.

Le premier soir de ce nouveau séjour est consacré à une rareté, I due Foscari. Un festival exclusivement consacré à Giuseppe Verdi se doit d’inventer chaque année de quoi surprendre le public, venu de toutes parts. C’est chose faite en programmant cet ouvrage créé le 3 novembre 1844, à Rome, avec lequel le trentenaire montrait une inspiration des plus sombres, puisque l’on saisit dès le début que les personnages sont pris au piège d’une intrigue qui se finira forcément mal. Le point de départ est une tragédie en cinq actes que Lord Byron écrivit au printemps 1821 à Ravenne, The two Foscari, et qu’il fit publier à Londres la même année, en la dédiant à Walter Scott. Son argument se déroule dans le Venise du milieu du XVe siècle, sur fond de rivalité politique, de haine ancestrale et de complot. Verdi prend connaissance de la pièce à la fin de 1843 et confie tout naturellement l’adaptation en livret à son ami le Vénitien Francesco Maria Piave, son efficace collaborateur pour Ernani d’après le drame de Victor Hugo, donnant lieu à un opéra en trois actes. Le Teatro Regio a décidé de le jouer dans la nouvelle édition critique réalisée pour Ricordi par le musicologue nord-américain Andreas Giger (2017) et d’en confier la mise en scène à Leo Muscato [lire nos chroniques d’Agnese et de L’incoronazione di Dario].

Sans chercher à introduire quelque agitation antagoniste à cet opéra des plus statiques du répertoire, Muscato et son équipe – Silvia Aymonino (costumes), Andrea Belli (décor), Alessandro Verazzi (lumières) – signent une coproduction (avec le Teatro Comunale de Bologne) qui va à l’essentiel, jouée dans un espace circulaire qui évoque efficacement la souricière du Conseil des Dix, sous les yeux sévères des Doges, silhouettes inquiétantes venant s’imprimer sur la façade qui enserre la désolation générale. Les personnages évoluent vers le pire, dans des tenues qui s’apparentent plus au siècle de Verdi qu’à celui de l’argument. L’ingénieuse intervention d’un miroir vient ouvrir le final dans la mort.

Au pupitre de l’Orchestra Giovanile della Via Emilia et de leurs ainés de la Filarmonica Arturo Toscanini, on retrouve la baguette alerte et inspirée de Paolo Arrivabeni, maintes fois applaudi dans le répertoire national [lire nos chroniques de Rigoletto, L’elisir d’amore, Lucrezia Borgia, Ernani, La bohème, Turandot, Otello, Simon Boccanegra, Demetrio e Polibio, entre autres]. Le maestro donne une interprétation très vivante d’I duo Foscari, dominée par l’urgence dramatique et le soin du détail – deux qualités qui cohabitent rarement dans une même fosse. La performance chorale n’est pas en reste, grâce aux experts du monde verdien que sont les artistes du Coro del Teatro Regio di Parma, dirigés par l’excellentissime Martino Faggiani.

Le plateau vocal donne toute satisfaction. Même les rôles secondaires sont tous bien tenus. En Barbarigo, on retrouve le ténor incisif mais également nuancé de Francesco Marsiglia [lire nos chroniques de Stiffelio et de Lucia di Lammermoor]. On découvre le jeune ténor Vasyl Solodkyy (Garde du Conseil), un artiste qui mérite sans doute qu’on l’entende dans une partie plus étoffée. Parmi le quatuor de tête, Stefan Pop possède un ténor bien accroché qu’il utilise avec une vigueur incontestable en Jacopo Foscari. Le chant du Roumain, applaudi récemment à Bergame [lire notre chronique d’Il castello di Kenilworth], est généreux et fait bon effet, même si le rôle nécessite une inflexion plus romantique, notamment en ce qui concerne la présence théâtrale. Grâce à un phrasé soutenu, il en porte toutefois valeureusement la musicalité. Le choc de la soirée survient avec le grand Vladimir Stoyanov qui honore d’une stature noble la partie de Francesco Foscari. La franchise de l’émission et la richesse du timbre rivalisent d’expressivité dans une incarnation bouleversante [lire nos chroniques d’Otello, Il trovatore et Attila] qui vaut au chanteur bulgare d’être longuement ovationné au moment des saluts. Ombre errante du palais désenchanté, Giacomo Prestia campe d’une basse puissante et noire le sournois Loredano [lire notre chronique d’Aida]. Enfin, on ne se lassera peut-être jamais du chant opulent de María Katzarava, tout à son affaire en Lucrezia. L’inextinguibilité du souffle favorise une ampleur très impactée que les passages en agilité ne mettent pas en difficulté. L’héroïsme de la projection l’emporte haut la main, faisant naître l’émotion [lire nos chroniques de Turandot, Stiffelio et Simon Boccanegra]. Quelle verdienne hors pair ! Rendez-vous demain soir, pour une nouvelle aventure parmesane…

KO