Chroniques

par gilles charlassier

I puritani | Les puritains
opéra de Vincenzo Bellini

Grand Théâtre, Genève
- 26 janvier 2011
Francesco Negrin met en scène I Puritani de Bellini au Grand Théâtre de Genève
© gtg | vincent lepresle

En mettant en scène une héroïne qui flirte avec la folie – à cause de la jalousie –, le dernier opéra de Bellini, I puritani, reste dans la veine du maître du bel canto où la vocalité des prime donne est exaltée lorsque leur raison vacille. Cependant, à la différence de la plupart de ses aînés, l’ouvrage a la réputation de défier la mise en scène par un certain statisme. Le livret de Carlo Pepoli n’a pas l’efficacité dramatique de ceux de Felice Romani, habituel collaborateur du compositeur sicilien avec lequel les tensions ont fini par rendre le travail impossible. L’un des exemples évidents de ce manque de sens théâtral est l’artificialité du ressort qui fait sombrer Elvira à la fin du premier acte. La chute semble par trop soudaine pour avoir l’apparence d’une crédibilité psychologique minimale. La fragilité du personnage ne se laisse pas assez anticiper.

Le remaniement scénographique opéré par Francesco Negrin tente de pallier cette relative indifférence à la scène. Le régisseur mexicain [lire notre chronique du 26 juin 2006] a cru bon de rehausser les affects des personnages par le contexte politique de l’intrigue. Avec leurs glissements latéraux successifs qui tiendraient presque du cartoon, les décors du premier acte ne favorisent pourtant guère la cohérence du drame, en dépit des louables intentions de dynamisation de l’action dramatique. Au deuxième, celles-ci semblent récolter leurs fruits paradoxaux dans l’unité du lieu unique composé de deux tribunes en métal fleuri de boulons – pour la décoratrice Ev Delin la matière semble être l’idiome ornemental de la production. Femmes et hommes s’affrontent d’arrêts en jugements tandis que la rétine de la raison d’Elvira papillonne. Elle se posera sur le calice nuptial lorsque la jeune femme comprendra la manœuvre toute politique d’Arturo, sur les remparts de la cité où ce dernier sera blessé. Mais le happy end du livret n’est ici que le songe de l’héroïne, laquelle ne cesse de fuir le cauchemar de la réalité. Cette entorse, bien que contestable, a l’impact émotionnel immédiat pour avocat. On pourra saluer le poétique tulle aux mouvances marines et outremer qui sert de rideau de scène et les lumières de Bruno Poet. On songera seulement que la pièce du comte Pepoli n’est qu’une variation parmi d’autres sur le thème de Roméo et Juliette, des familles et des camps rivaux, l’arrière-plan socioreligieux étant davantage un ferment dramaturgique qu’un objet de réflexion pseudo-philosophique. C’est l’imagination des oreilles et non la conscience politique que Les puritains éveillent.

Car c’est bien un écrin pour les voix que le bel canto demande au théâtre. La performance de Diana Damrau en Elvira était très attendue. Le soprano allemand, de tessiture légère, se place dans les chaussons de Natalie Dessay : comme la Française, de brillante mozartienne, elle brigue une place au panthéon des dive belcantistes. L’élégance de la ligne, la clarté de l’émission et l’homogénéité de la tessiture lui donnent une position respectable de recevabilité. Mais les sages seront dubitatifs sur des aigus faillibles quant à l’insolence. Le mezza voce avec lequel ils sont piqués évite toute vulgarité comme toute ivresse. Nous ne serons point les Ganymèdes de ses contre-fa, mais nous pourrions l’être de ceux d’Alexey Kudrya, Arturo. Le jeune ténor moscovite ne se laisse pas prendre en défaut par le Credeasi, misera. Il est à juste titre salué pour son timbre d’or et la richesse de ses harmoniques, mais on lui pardonne sans doute trop facilement un vibrato si peu orthodoxe – mais tellement slave, s’extasiera-t-on.

Ce n’est d’ailleurs pas l’italianité qui est à la fête ce soir. Si Franco Vassalo montre un engagement saisissant dans le rôle de Riccardo, on pourrait espérer plus de rondeur dans la cavatine du premier acte, Ah ! Per sempre io ti perdei. L’amertume du personnage influence peut-être trop l’interprète. Lorenzo Regazzo donne, avec une constance imperturbable, une leçon de théâtre et de canalisations vocales ; son Giorgio Walton n’en impressionne que davantage. Gualtiero échoit à la basse coréenne In-Sung Sim qui s’acquitte du rôle avec honnêteté. Isabelle Henriquez se démarque par la couleur de son mezzo, idoine pour la reine Henriette Stuart (Enrichetta, dans le livret). Fabrice Farina tient la partie de Sir Bruno Roberton.

Il reste que Jesús López Cobos montre un savoir-faire indéniable dans ce répertoire. Le chef espagnol dirige l’Orchestre de la Suisse Romande sans excès de personnalité, et mène à bon port la formation, après avoir essuyé quelques imprécisions au premier acte. Les pages orchestrales n’en sont pas moins mises en valeur comme il convient. La facture bellinienne est toute tournée vers les voix, ce qui est sensible tout au long de la soirée. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève réalise une prestation adéquate sous la conduite de sa cheffe Ching-Lien Wu.

GC