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Chroniques
I puritani | Les puritains
opéra de Vincenzo Bellini
Le premier intérêt de cette représentation du dernier opéra de Bellini est musical, la partition étant jouée dans son intégralité. Quel plaisir d’entendre, sans les coupures habituelles, toutes les mesures des reprises de cabalettes et, surtout, de découvrir quelques passages jamais entendus ! Par exemple, un air entamé par le ténor, Se il destino a te m’invola, qui se transforme en trio avec Enrichetta et Giorgio, lorsqu’Arturo en fin de premier acte fuit ses noces avec Elvira pour sauver la reine. Par rapport aux versions habituelles, le futur marié ne fuit plus précipitamment, comme un voleur, mais explique qu’il reviendra au plus vite pour aimer sa dulcinée : la phrase « t’amero come t’amai » est répétée de nombreuses fois. Le duo entre Elvira et Arturo, en fin d’Acte III, est lui aussi une vraie rareté, Da quel dì io ti mirai, avant la cabalette finale, entamée conjointement par le soprano et le ténor.
Speranza Scappucci, directrice musicale de l’Opéra royal de Wallonie pour la deuxième saison, assure une conduite de belle qualité technique, jusqu’aux cors impeccables dans l’Ouverture, même si le cor solo est un peu plus limite dans l’introduction du duo Riccardo/Giorgio du II. En fins de tableaux, quelques fugaces effets d’accélérations deviennent un peu systématiques, mais la musique se met surtout au service des chanteurs, en particulier en modulant le volume.
Les deux solistes les plus sollicités remportent les suffrages, à commencer par le soprano Zuzana Marková (Elvira) qui utilise au mieux sa technique belcantiste [lire notre chronique de La traviata]. Les passages d’agilité sont bien négociés, les notes détachées. Elle provoque l’émotion dans les passages élégiaques. Ses variations dans les reprises sont aussi bienvenues, et la chanteuse fait entendre sa puissance surtout dans l’extrême aigu, beaucoup de passages dans le médium étant plus discrets. Le ténor Lawrence Brownlee (Arturo) fait une excellente impression [lire nos chroniques des 11 septembre et 28 novembre 2010, du 24 juillet 2017 et du 11 juin 2018]. Débarrassé de son vibratello d’il y a quelques années, il produit un volume adéquat à la taille de la salle liégeoise. Le timbre est homogène jusqu’au grave bien fourni, le style très élégant, comme le magnifique legato développé dans son air d’entrée, A te o cara. Il ajoute par-ci par-là des suraigus électrisants, par exemple pendant sa confrontation avec Riccardo en fin de premier acte. Dans l’air final Ella è tremante, qui sollicite le plus intensément cette partie du registre, le contre-ré est brillant, puis un peu moins le contre-fa émis en voix mixte – sans doute la pure voix de tête serait-elle d’une plus grande séduction.
De séduction, en revanche il est fort peu question chez Mario Cassi (Riccardo), devenu l’ombre du vigoureux et très prometteur baryton que nous avions entendu il y a plusieurs années (Don Pasquale à Piacenza en 2006, puis au TCE en 2009, ou encore Il barbiere di Siviglia à Pesaro en 2009, etc.). L’instrument est désormais trop peu discipliné, le placement semble hésitant, l’intonation est souvent imparfaite et le style parfois plus proche du vérisme que du bel canto, avec certains sons fixes du plus mauvais effet. La basse Luca Dall’Amico (Giorgio) n’est pas non plus un exemple de fermeté du timbre, mais ces petits problèmes sont beaucoup plus passagers et en adéquation au personnage de l’oncle [lire nos chroniques Turandot, Moïse et Pharaon et Aida]. Alexise Yerna (Enrichetta) complète avec un volume puissant les personnages principaux [lire notre chronique de Lucia di Lammermoor], tandis que les choristes font une très bonne impression, bien chantants, homogènes et respectant le rythme avec précision.
Créé fin décembre dernier à l’Opéra de Francfort, le spectacle de Vincent Boussard apporte nettement moins de bonheur que la partie musicale. Au tout début, un homme meurt dans les bras d’une femme, puis est enterré au cimetière pendant qu’un médaillon de Bellini est projeté sur un rideau de tulle en avant-scène. Dans sa note d’intention, le réalisateur explique que c’est Bellini qu’on enterre, mais le piano placé au centre du plateau rappelle furieusement une autre de ses mises en scène : Les pêcheurs de perles donné à l’Opéra national du Rhin, où Georges Bizet lui-même était au centre des débats [lire notre chronique du 17 mai 2013]. Toujours est-il que le procédé peut être recyclé à l’envi, tant les décors et le jeu des protagonistes et des choristes évoquent tout aussi bien La traviata que Don Giovanni. Les décors sombres de Johannes Leiacker sont constitués d’un rez-de-chaussée et d’étages en arcades, dans lesquelles se nichent les choristes, mais aussi les solistes par moments – air d’entrée d’Arturo, duo des retrouvailles au cours duquel l’homme est à l’étage et la femme au niveau inférieur, puis lorsqu’Arturo descend, c’est Elvira qui a disparu... pour se retrouver un instant plus tard au premier niveau ! Après le duo, Elvira tire un coup de pistolet vers Arturo qui s’écroule, mourant, dans les bras de la Mort, personnage féminin passant et repassant pendant la soirée. Vincent Boussard estime qu’il est possible – probable ? – qu’une amante du compositeur l’ait assassiné, de crainte de se voir délaissée à courte échéance... On peut rester dubitatif. Le rideau de tulle, baissé pendant presque toute la durée du spectacle, relevé seulement à partir de l’air du ténor, met une distance supplémentaire entre le plateau et la salle. Ceci pour permettre de rares projections vidéo, la plupart du temps peu marquantes – souvent un grand cercle central, légèrement plus éclairé que l’extérieur, ou bien le contraire. Un papillon volette au I – Madama Butterfly bientôt en vue ?... Quelques instants avant la fin de l’opéra, tout le monde se relève comme à l’issue d’une pièce de théâtre, puis après la dernière note de musique, le personnage de la Mort est tué en fond de plateau.
IF