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Chroniques
I puritani | Les puritains
opéra de Vincenzo Bellini
« Vu Les puritains le mardi soir, avec Mme de Forget. Cette musique m’a fait grand plaisir. Le clair de lune de la fin est magnifique, comme ceux que fait le décorateur au théâtre. Ce sont des teintes très simples, je pense, du noir, du bleu et peut-être de la terre d’ombre, seulement bien entendu de plans, les uns sur les autres. La terrasse qui figure le dessus des remparts, ton très simple, avec rehauts très vifs de blanc, figurant les intervalles du mortier dans les pierres. » Tels ou presque que dans l’œil d’Eugène Delacroix, peintre fanatique d’opéra, dans son imposant Journal en date du 3 mars 1847, revoici à Paris, en reprise à l’Auditorium Bastille, I puritani (1835) de Vincenzo Bellini dans de semblables tons de couleur, mais plutôt bleu électrique, pour emplir le fond de scène, ou pastel étonnant dans les costumes par lesquels Laurent Pelly adoucit les rigueurs du Moyen Âge. Plus audacieuse en son temps (2013), puis semble-t-il validée par le public et la critique, la scénographie de Chantal Thomas privilégie, sur une ample tournette, un édifice d’apparence ferreuse représentant la gigantesque ossature d’une cathédrale, sinon d’un fort ou d’un château. Dans cet « univers mental, rêveur » où « le monde est comme vu à travers le regard d’une Elvira en proie à la folie », concept un peu clarifié dans la brochure de salle, la mise en scène tire surtout profit de l’immensité scénique pour le grandiose tableau final du premier acte.
Et, pour incarner, au centre des attentions, l’assez improbable héroïne, elfique ou évanescente, comme tirée d’un raffiné poème de Lord Tennyson ou d’un film alambiqué de David Lynch, l’interprète est toute trouvée en Lisette Oropesa, actrice charismatique très bien disposée. Un petit cordial même, que ce soprano dont la première rasade plane si bien au-dessus de la prière collective. Et saisissant, comme elle lance le duo Sai com’arde, souple comme une cavale, suspendant son bonheur au firmament par quelques traits embrasés ! La prima donna s’affirme magnifique dès le duo idyllique avec son Arturo, ténor héroïque, mais aussi fragile, assuré par le charmant Lawrence Brownlee, à son meilleur dans les ensembles [lire nos chroniques de L'Italiana in Algeri à Pesaro, Paris et Lausanne, de Semiramide, Don Pasquale et I puritani]. La vocalise généreuse dans la polonaise Son vergin vezzosa, Oropesa [lire nos chroniques de Mitridate, Les Indes galantes, Lucia di Lammermoor à Madrid, Adina, Les Huguenots, Robert le Diable et Hamlet], radieuse, instille le destin affligé d’Elvira de manière progressive : en libérant d’abord, par courte anticipation, le percement maîtrisé et sincère de la douleur, qui ensuite éclate d’autant mieux dans la scène de folie, sur un fond vert sombre. Le rôle-titre est inséminé de déraisonnable allégresse, par un chant éruptif et merveilleux, avant que la voix, hérissée de tout le sel mélodramatique qui poudre l’Acte III, enfin brille dans le registre de la lamentation.
La fine entreprise de chant bellinien révèle, certes, des traces d’emphase lyrique en cet ultime projet du maestro sicilien, décédé peu après la création à Paris. Mais l’épopée puritaine inaugure bel et bien l’âge d’or du bel canto romantique, lorsque les lames s’entrechoquent et les lanciers courent à l’assaut, au moyen de l’imagination galopante du compositeur et du jeu passionné des solistes et des musiciens. Ainsi Roberto Tagliavini confirme-t-il en Giorgio une basse en rien jacassière mais stable et pénétrante [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor à Liège, Il trovatore, Carmen, La Cenerentola, La bohème, Norma et Manon], exceptionnelle de galanterie et de lyrisme dans l’ensorcelante romance Cinta di fiori. Délicat dans la cavatine Ah! Per sempre io ti perdei, le colonel Riccardo conduit par le baryton Andrii Kymach prend l’ennemi en filature pour notre plaisir en laissant, au delà du simple rival sanguin, une impression intéressante, notamment dans l’aria du declamato. En outre, le ténor Manase Latu se montre mélodieux en tant que Bruno, l’officier, et le baryton-basse Vartan Gabrielian d’un romantisme élégant, en gouverneur Valton [lire notre chronique de Madama Butterfly]. Également membre de la troupe de l’Opéra national de Paris, le mezzo Maria Varenberg ne fanfaronne pas pour incarner Enrietta, reine prisonnière et justement émue, au chant jeune et ferme.
À travers empoignades viriles, prières, honneurs et disgrâces, la marque du Chœur maison, préparés par Ching-Lien Wu est déposée avec enthousiasme, vaillance et profusion, sous la seule menace de saturation dans les tutti alignés en compte à rebours jusqu’au grand revirement final. En fosse, Corrado Rovaris mène l’Orchestre de l’Opéra national de Paris en soignant la précision des grands tableaux [lire nos chroniques d’Otello, Il prigonier’ superbo, La Salustia, Lucia di Lammermoor à Nancy, La creazione del mondo et Alfredo il Grande]. Sans doute conformément aux récentes éditions critiques quant aux tempi, les solistes semblent poussés avec une ardeur d’où surgit le charme italien (ainsi dans les contrastes du préambule, au lever de rideau), mais au risque de trop d’empressement et de tempérament.
FC