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Chroniques
Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
On sait qu'Olivier Py peut atteindre au sublime – en atteste son Tristan und Isolde d'anthologie [lire notre chronique du 14 juin 2009]. Mais là où le talentueux metteur en scène s'accordait presque charnellement au diapason wagnérien, il phagocyte la musique de Mozart. Ce sont pourtant les mêmes recettes dont il use, mais dans la nudité de la cour de l'Archevêché et appliquées à la ligne si simple d'Idomeneo, elles font l'effet de surlignages au marqueur fluorescent. Les immenses praticables métalliques, la spatialisation de tout le plateau, les décors mouvants permettent, certes, de contrebalancer le statisme des conventions de l'opera seria ; mais c'est échapper à un écueil pour tomber dans un autre tant la musique se prête mal à cette débauche de machinerie.
Alors, à quelques kilomètres d'Avignon, on ne peut s'empêcher de penser à cette lettre de Jean Anouilh à Jean Vilar où l'écrivain confiait au fondateur du festival : « J'ai la nostalgie des scènes trop petites, des deux spots et des quatre bouts de bois avec lesquels on fait du vrai théâtre ». Olivier Py est pourtant un grand homme de théâtre, mais trop de moyens tuent l'émotion, trop de machinerie tue la musique – ah, ce magnifique premier récitatif d'Idoménée gâché par le bruit du changement de décor… Malgré tous ses dons et son intelligence aiguë, le directeur de l'Odéon donne l'impression de ne pas avoir pensé/poussé jusqu'au bout sa mise en scène. Est-ce le temps qui lui a manqué ? Aurait-il sinon traité ainsi Neptune, étrange roi des mers dont la couronne et le trident premier degré jurent avec la modernité de l'ensemble ? Aurait-il affublé Electre de ce seau dont elle puise du sang pour s'en couvrir le visage avant de mourir ? Aurait-il conçu des chorégraphies de remplissage ? Et que dire des sans-papiers africains, angle ou alibi politique dont on ne trouve nulle trace dans la musique ?
Faisons malgré tout crédit à Olivier Py qui parfois compose de magnifiques tableaux – notamment les scènes de chœurs – dont la beauté s'accorde si bien à celle de la musique qu'on croit déjà entendre chez le Mozart de vingt-cinq ans les accents du Requiem ou de La flûte enchantée. C'est également à Py que l'on doit le choix du ténor pour incarner Idamante, comme Mozart l'avait voulu pour la version viennoise de 1786, au lieu du castrat de la création en 1781.
Ce parti pris, auquelMarc Minkowski a souscrit, fait d'Idomeneo un opéra de ténors et donne lieu à des comparaisons intéressantes entre le rôle-titre, Idamante, Arbace et le Grand Prêtre. Au sommet de tous, Richard Croft est un Idoménée idéal et magistral. Son timbre moelleux, son agilité dans les vocalises, son économie de moyens dans le jeu, son intelligence dans les récitatifs, sa précision dans les intentions musicales sont une véritable leçon de chant. À ses côtés, Yann Beuron en Idamante apparaît moins maîtrisé : on apprécie toujours autant son timbre très mozartien et on admire ses pianissimi superbes, mais le jeune ténor connaît parfois des problèmes d'émission, notamment dans les aigus, sans qu'on arrive à déceler ce qui, de la partition ou de la chaleur, le met à mal. Xavier Mas, lui, compose un Arbace très prometteur en dépit d'aigus qui bouchonnent.
La distribution féminine ne démérite pas non plus. Sophie Karthaüser (Ilia) est une belle découverte qui allie une voix fruitée, bien conduite, à une technique maîtrisée et un chant simple et pur. On l'imagine volontiers dans un autre rôle mozartien : celui de Pamina. Quant à sa rivale Électre (Mireille Delunsch), elle sait perdre de sa rondeur pour donner plus d'acrimonie à la voix et correspondre ainsi aux propos souvent acerbes de la princesse d'Argos. Le Chœur de la Radio de Berlin est inspiré et la direction de Marc Minkowski habile, même si elle ne réussit pas toujours à faire oublier la sonorité acide des bois et des cuivres des Musiciens du Louvre.
IS