Chroniques

par bertrand bolognesi

Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 30 novembre 2006
Joyce DiDonato dans l'Idomeneo (Mozart) de Luc Bondy au Palais Garnier
© elena bauer | opéra national de paris

Parce qu'Idomeneo est un opéra haletant traversé d'événements, s'appuyant sur une intrigue qu'un dieu capricieux vient sans cesse bouleverser, une partition en commentaire de ces successives révolutions que tend une angoisse de jugement dernier, alternant d'improbables rationalisation aux effondrements passionnels, le mouvement arrêté des cycloramas d'Erich Wonder s'avère le bienvenu dans cette production imaginée par Laurent Bondy pour la Scala (Milan), le Teatro Real (Madrid) et l'Opéra national de Paris.

Aux traits suspendus des vagues écumeuses délimitant l'horizon répond la représentation d'une plage que bordent les flots orchestraux, seuil idéal entre ce qu'exprime le plateau et l'écho accordé par le public. Dans l'immuable tenue des grands sujets antiques, cette plage où s'échouent les destinés des peuples est saisie par les lumières contrastées de Dominique Bruguière, révélant un discret succédané crétois avec la complicité de Rudy Sabunghi pour les costumes. Discrétion semble bien le mot d'ordre de cette mise en scène qui, au profit d'une direction d'acteurs soignée qui se concentre à l'essentiel, sachant se garder d'exhiber l'ambition d'un projet scénographique à occuper d’une multitude d'« idées » plus ou moins heureuses. Et, après l'urgence des derniers instants, sourdant des traumatismes d'un clergé que le guerrier ressuscité aura maladroitement laissé innocent de ses errements sacrés, quoi de plus beau que la juste et courageuse simplicité d'une fin qui voit Idomeneo quitter le plateau par la salle, léguant la scène à la jeunesse chérie des dieux ?

Bien qu'ayant assumé lundi une répétition générale remarquée, le ténor mexicain Ramón Vargas, distribué dans le rôle-titre, dut prendre hier la décision d'annuler sa participation à la première, suite aux conséquences d'un grave refroidissement. Aussi nous annonce-t-on la prise de rôle impromptue de Charles Workman. S'il convient de saluer la hardiesse dévouée de l'artiste, force est de constater la saine prestation dont il honore la partition de Mozart. Surmontant les aléas de circonstances précipitées, le ténor offre un Idomeneo fiable, doté d'un phrasé souple, d'une présence attachante, allant bien au delà de ce qu'on attend d'un chanteur intégré au spectacle par quelques raccords scéniques, l'après-midi même.

Outre de ce beau tour de force d'un remplacement in extremis, le Palais Garnier retentit d'une distribution vocale satisfaisante. De même que l'efficacité indiscutable d'Ilya Bannik en Voix de Neptune du dénouement, s'y remarque le Grand Prêtre au timbre clair de Xavier Mas. Formulons toutefois des réserves quand à deux personnages. D'abord en ce qui concerne l'Arbace de Thomas Moser : pour respectable que soit son incarnation, la projection demeure certes impressionnante mais l'émission est laborieuse et la voix, désormais fatiguée, ne gagne plus exactement chaque note ; en second lieu, à propos de l'Électre de Mireille Delunsch : s'associant à un chant qui n’avère pas systématiquement juste, le manque de franchise des attaques, les hésitations de l'impact vocal, l'étroitesse de format (en comparaison du confort des deux autres présences féminines), l'âcreté de l'aigu et une déroutante carence expressive finissent par décevoir.

En revanche, Camilla Tilling se révèle une Ilia passionnante qui ne se contente pas de sa fiabilité à toute épreuve mais ose de vraies prises de risques expressives. Enfin, dès son entrée, l'Idamante deJoyce DiDonato est l'étoile incontestable de la soirée. Dotée d'un large registre expressif, d'un organe d'une souplesse confondante, d'un legato inépuisable, d'un grand sens de la scène qu'habite un charisme dont elle sait de pas mésuser, son chant d'un indicible raffinement se met au service d'une conception sensible du rôle.

Au pupitre,Thomas Hengelbrock dirige l'Orchestre de l'Opéra national de Paris dans une lecture d'une grande clarté, toujours soucieuse de l'équilibre scène/fosse, affichant une bienheureuse sècheresse qui, tout en soulignant adroitement l'urgence de l'action, dépoussière sainement l'écoute de toute graisse superflue.

BB