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Chroniques
Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
C’est à une équipe japonaise qu’est confiée la réalisation visuelle d’Idomeneo dont le premier maître d’œuvre, Satoshi Miyagi, signe une mise en scène symbolique, hiératique et souvent très statique. Les protagonistes entrent en scène perchés sur des prismes verticaux poussés sur roulettes, restant immobiles pendant qu’ils chantent, tandis que d’autres de ces volumes sont mis en rotation autour d’eux. Plusieurs mobiles viendront s’accoler plus tard pour former une sorte de monticule anguleux, à nouveau en lent mouvement. Le quatuor de l’Acte III, Andrò ramingo e solo, relève au contraire d’un statisme à la limite de la paralysie, les quatre solistes au sommet de leur piédestal face au public pouvant donner l’impression d’une visite au musée. Même si les décors de Junpei Kiz, somptueusement éclairés par Yukiko Yoshimoto, ne se limitent pas à ces formes géométriques, avec en particulier des paravents majestueux sur la hauteur du cadre de scène, les faits et gestes des personnages sont extrêmement restreints et l’intrigue de l’opéra mozartien très peu caractérisée.
Seule parmi les solistes à marcher sur le plateau, l’Elettra de Nicole Chevalier paraît jouir d’un degré de liberté supplémentaire par rapport à ses collègues, ce qui favorise un meilleur épanouissement vocal. Passé une intonation perfectible dans l’air du II, Idol mio, se retroso, ceci est surtout vrai dans D’Oreste, d’Aiace à l’acte suivant, un air vindicatif et plein de fureur dont la dernière note est longuement tenue [lire nos chroniques de Medea et de Fidelio à Vienne]. Est-ce un effet induit par le concept de ce spectacle, chaque soliste en hauteur se tenant fermement d’une main à un montant vertical ? En Idomeneo, Michael Spyres semble également plutôt prudent quant à l’émission vocale. Bien sûr, le chanteur impressionne toujours autant quand il puise dans son registre grave de baritenore, mais la projection n’est que rarement insolente dans l’aigu, alors que les passages vocalisés, dans Fuor del mar, restent correctement exécutés, avant une longue cadence finale.
Ilia est un rôle qui correspond idéalement aux moyens de Sabine Devieilhe. La voix semble avoir gagné en largeur, les registres aigu et suraigu sont toujours aussi faciles, aériens, souvent cristallins, mais à l’inverse les graves sont limités et l’obligent à transposer plus haut la fin de l’air Se il padre perdei, merveilleusement accompagné par les divers bois. L’Idamante d’Anna Bonitatibus complète d’un timbre agréable à la technique aguerrie et la musicalité sûre le quatuor des rôles principaux, mais sans véhémence particulière dans l’interprétation [lire notre chronique du 27 février 2017]. En tête des emplois secondaires, l’Arbace de Linard Vrielink affirme un ténor de format mozartien, élégant dans la ligne de chant mais modéré dans sa puissance [lire nos chroniques de Tristan und Isolde et de Fidelio à Paris], Krešimir Špicer projette plus fortement en Gran Sacerdote [lire nos chroniques de La Didone, Il ritorno d’Ulisse in patria, Lucio Silla, Israel in Egypt et Idomeneo] et la voix enregistrée d’Alexandros Stavrakakis (Voce di Nettuno) est diffusée à partir d’un tourne-disque, lui aussi niché au sommet d’un prisme.
Après le Requiem en 2019, Raphaël Pichon et son orchestre Pygmalion retrouvent Mozart qu’ils servent admirablement. L’acoustique assurément très sèche de la cour de l’archevêché paraît flatter les instruments d’époque et dévoile les nombreux détails de la partition. Un grand relief est donné aux récitatifs, ne laissant pas la tension retomber… bien au contraire. Un grand bravo aussi, au Chœur Pygmalion, renforcé par des artistes du Chœur de l’Opéra national de Lyon, dynamiques et bien coordonnés, au son harmonieux y compris par pupitres séparés. À plusieurs reprises, les choristes sont chargés d’animer le spectacle par de légères chorégraphies, par exemple lorsqu’ils défilent au pas cadencé, à la manière de robots ou de zombies, au début du grand air d’Elettra, D’Oreste, d’Aiace.
IF