Chroniques

par jérémie szpirglas

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioacchino Rossini

Opéra national de Montpellier / Corum
- 29 décembre 2010
reprise à Montpellier du Barbier signé par Katharina Thalbach à Berlin
© marc ginot | opéra national de montpellier

C’est un lieu commun : l’essentiel des ressorts comiques et/ou burlesques du genre de la comédie occidentale est, au moins en partie, hérité de la Commedia dell’arte. Le barbier de Séville – celui de Beaumarchais comme celui de Rossini – ne fait pas exception, qui tourne principalement autour de deux personnages emblématiques de la Commedia : Bartolo-Pantalon, vieux barbon grippe-sous et libidineux, et Figaro-Arlequin, serviteur malin et malicieux qui a plus d’un tour dans son sac pour rouler (toujours avec tendresse) son ennemi de toujours et voir triompher l’amour.

C’est bien de cette oreille que l’entendait Katharina Thalbach lorsqu’elle réalisa sa mise en scène pour la Deutsche Oper de Berlin, en 2009, dont l’Opéra national de Montpellier présente la reprise en cette période de fête. Toute l’action se passe autour d’une roulotte de saltimbanques – l’intérieur de la roulotte, lorsque la scène mobile est ouverte et déployée, c’est, bien sûr, l’intérieur de Don Bartolo où est enfermée Rosina (déguisée pour l’occasion en Colombine) et l’extérieur, lorsque la roulotte est fermée, c’est la rue, qui donne sur la façade borgne de cette prison ambulante. Comme dans toute Commedia dell’arte qui se respecte – et grâce à cette facile, mais efficace, mise en abyme –,Thalbach fait entrer son public dans la danse – non pas le public de l’opéra, mais un public, constitué exprès et mis en scène, composé de figurants et, éventuellement, des membres du chœur. C’est l’occasion de nombreux gags bon enfant (ou pas) auxquels, ma foi, on rit de bon cœur, peut-être tout simplement parce que c’est Noël.

Par exemple, durant le célèbre air de la calomnie, un jeune homme du public est montré du doigt et chassé par la foule en colère, après s’être approché un peu près de deux bambins pour jouer avec eux (à des jeux somme toute très innocents). Chaque air est ainsi illustré par une pantomime plus ou moins inspirée, plus ou moins réussie, qui mêle joyeusement toutes les époques et tous les genres jusqu’à plonger dans le burlesque et l’absurde le plus total : on y voit pêle-mêle un moine et son âne, une petite sirène, un docteur ès capilliculture, un travesti, une femme presque nue qui se trémousse pour attirer l’œil du barbier et quelques autres personnages pittoresques. En plus d’égayer la pièce, ce dispositif grouillant et animé, inspiré des théâtres ambulants d’antan, permet de tirer partie de l’immense plateau de l’Opéra Berlioz.

Ce qui n’est pas le cas de l’aspect musical de cette production. L’acoustique de l’Opéra-Comédie, fermé pendant dix-huit mois pour travaux, aurait sans doute été plus adaptée. Perdu dans cet océan d’espace, l’Orchestre mational de Montpellier Languedoc-Roussillon, s’il est pertinent et flexible dans les airs, manque dramatiquement de relief, d’énergie et d’éclat partout ailleurs. La baguette de Stefano Ranzani est intelligente mais trop molle pour le discours rossinien en constant essor.

Parmi la distribution, on a toutefois la très agréable surprise de découvrir quelques voix qui s’imposent dès la première note : le Québécois Étienne Dupuis (Figaro) est un baryton puissant et incisif, équilibré et expressif sur tout l’ambitus – bref, tout à fait convaincant – ; la Géorgienne Ketevan Kemoklidze (Rosina) est une mezzo-soprano piquante et fort à l’aise dans son rôle, malgré, en ce soir de première, des graves un brin encombrés ; quant à Alberto Rinaldi (Don Bartolo), bien que manquant de volume et de panache, il a de l’agilité vocale à revendre.

Si les autres chanteurs ne déméritent pas (et la complicité scénique de l’équipe toute entière est indéniable), ils n’emportent toutefois pas l’adhésion : présence et aisance vocale leur font trop souvent défaut. Le feu d’artifice des ensembles n’a donc pas l’éclat attendu, ce qu’auraient pourtant amplement mérité la mise en scène, toute de vivacité et de verdeur.

JS