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Chroniques
Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini
Une nouvelle production d’Il barbiere di Siviglia de Rossini est proposée au Théâtre des Champs-Élysées (du 5 au 16 décembre 2017), avec la particularité d’être décliné en deux distributions : l’une constituée de chanteurs confirmés, s’illustrant sur les meilleures scènes internationales, et l’autre, entièrement dévolue à de jeunes talents, sélectionnés après un an d’auditions. « Nous avons ainsi voulu leur donner la possibilité, en tout début de carrière, de chanter des rôles de premier plan sur une grande scène parisienne, de travailler avec un grand chef d’orchestre et un grand metteur en scène et de voir leurs aînés à l’œuvre », nous confie Michel Franck, directeur général du Théâtre.
C’est à Laurent Pelly qu’échoit la mise en scène, mais aussi la scénographie, les décors et les costumes, comme de nombreux metteurs en scène le souhaitent aujourd’hui, endossant ainsi toute la responsabilité du spectacle – à l’instar de Stefano Poda [lire nos chroniques de ses Ariodante, Faust et Lucia di Lammermoor]. Mais, malgré quarante œuvres lyriques à son actif, Pelly a longtemps hésité à approcher Rossini… Pour lui, la musique de l’Italien domine, particulièrement pour ses opéras seria, et peut rendre ingérable la partie théâtrale. Il cite La donna del lago qu’il vaut mieux donner en version de concert… Pour son Barbier, il a peaufiné un travail d’orfèvre rétablissant l’équilibre entre la farce de la commedia dell’arte et le respect du livret de Beaumarchais qui possède des accents douloureux, comme l’aria de la calomnie ou celle de Berta, Il vecchiotto cerca moglie.
Ses choix sont donc minimalistes, tout en demi-teintes.
Le noir et blanc investit un décor où la musique est reine, entièrement constitué de partitions géantes où les portées vierges attendent d’être noircies des notes de l’opéra. Les costumes sont actuels et livrent un Figaro d’aujourd’hui, mauvais garçon, tatoué et musclé. La Forza (La Garde), qui intervient à la fin de l’Acte I, lors de l’imbroglio réunissant tous les personnages, est représentée par des musiciens en habit ayant pour seules armes les pupitres métalliques, exhibés comme des lames. L’hommage de Pelly ne peut être plus clair : le théâtre doit s’effacer devant la primauté de la musique. Il n’empêche que le jeu d’acteurs n’est jamais sacrifié et les effets spectaculaires jamais négligés. Figaro – l’extraordinaire Florian Sempey – descend des cintres pour sa Cavatine du premier acte. La monumentale partition verticale qui sert de décor s’ouvre délicatement sur le balcon de Rosina. Cette même page sera remplie par Figaro, comme une série de tâches à accomplir. Décidément, tout est musique : dans cette logique, Pelly et Rohrer ont souhaité rétablir tous les récitatifs et les airs traditionnellement coupés ou abrégés – ce qui, de plus, nuisait à la compréhension de l’action, selon Pelly.
Pour l’excellent Michele Angelini, c’est l’occasion de briller de tous ses feux dans l’air très souvent sacrifié, le somptueux Cessa di più resistere à la fin de l’Acte II, que Rossini réutilisera pour sa Cenerentola. Le ténor américain (apprécié à Versailles dans un Orphée et Eurydice de Gluck dirigé par Gardiner) comble par un art de vocalises et des ornements belcantistes exceptionnels, une prestance et une élégance idéales. Il s’affirme aujourd’hui comme l’un des rossiniens du moment. Dans le rôle-titre, Florian Sempey emporte, comme d’habitude, tous les suffrages, grâce à un abattage et une virtuosité alliés à une puissance vocale hors du commun. Il est aussi excellent acteur, sur les épaules duquel repose une grande partie de la réussite du spectacle. Après l’Opéra de Paris, Covent Garden, Pesaro et Rome, il retrouvera Figaro à Marseille, Luxembourg et aux Chorégies d’Orange. Le Basilio truculent de Robert Gleadow est sans reproches. Vocalement comme scéniquement, sa prestation est excellente. Il en va de même du géant Peter Kálmán en Bartolo, tout aussi séduisant. La seule réserve portera sur le choix du mezzo Catherine Trottmann en Rosina, quelque peu sous-dimensionnée pour un rôle où se sont illustrées les plus grandes (de Maria Callas à Cecilia Bartoli, pour ne citer qu’elles). Le reste de la distribution est de haut niveau, avec Annunziata Vestri campant une Berta comique mais sensible, et Guillaume Andrieux en parfait Fiorello (il interprète Figaro dans la seconde distribution).
À la tête de son Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rohrer propose une direction poétique, en osmose avec la conception scénique en demi-teintes. Les tempi sont ralentis et plus retenus, ce qui n’empêche pas le grain de folie rossinien de parcourir la soirée. Les instruments anciens permettent de profiter au mieux de l’effectif « plus boisé que métallisé », comme l’explique Rohrer : « les instruments étaient, à cette époque, beaucoup plus complémentaires dans leur facture, avant que le XIXe siècle ne les métallise et ne transforme radicalement la texture de l’orchestre ».
Un Barbier original et complètement revisité, au service de la musique de Rossini.
MS