Chroniques

par irma foletti

Il Bravo ossia La Veneziana | Le Bravo ou La Vénitienne
melodramma de Saverio Mercadante

Wexford Opera Festival / National Opera House
- 2 novembre 2018
Il Bravo (1839) de Mercadante au Wexford Opera Festival 2018
© clive barda

Le compositeur Saverio Mercadante (1795-1870), dont nos colonnes ont évoqué les opéras Didone abbandonata et Zaira [lire notre chronique du 10 août 2018 et notre critique du CD], est natif des Pouilles italiennes, région assez éloignée de Wexford. C'est pourtant dans cette ville irlandaise qu'il est vraisemblablement le plus joué depuis une vingtaine d'années, avec cinq titres avant la présente édition du Wexford Opera Festival : Elisa e Claudio (1988), Elena da Feltre (1997), Il giuramento (2002), La vestale (2004) et Virginia (2010). Ce soir, le spectateur qui entre en salle découvre l'image, projetée sur le rideau de scène, d'une peinture craquelée d'école vénitienne de la place Saint-Marc, avec un paquebot de croisière géant qui passe à quelques dizaines de mètres dans la lagune, le bien nommé MS Calamità.

Le rideau se lève ensuite sur un palais détruit à la géométrie perturbée, aux murs renversés, dans lequel passent rapidement deux touristes tirant leur valise à roulettes. La mise en scène de Renaud Doucet [lire nos chroniques de ses Benvenuto Cellini, Iphigénie en Aulide et Die Feen] ne penche pas vraiment vers notre époque, les décors et plus encore les costumes d'André Barbe évoquant la Venise du XVIe siècle du livret de Gaetano Rossi et Marco Marcello (1839), tiré de la pièce La Vénitienne d’Auguste Anicet-Bourgeois (1834), elle-même basée sur le roman The Bravo, écrit par James Fenimore Cooper (1831). Quelques brefs clins d'œil à notre XXIe siècle sont l'occasion de petits traits d'humour, même si la sensation de déjà-vu l'emporte par moments (on pense aux réalisations de Laurent Pelly et à sa Belle Hélène en particulier). Il en va ainsi des touristes débarquant en grand nombre sur la place Saint-Marc, certains prenant un selfie avec le doge, au milieu des vendeurs de souvenirs, de quelques militaires et d'une paire de carabiniers qui patrouillent pour assurer la sécurité. Mise à part cette séquence au premier acte, les touches humoristiques sont dosées plus légèrement par la suite, comme à l'ouverture de l’Acte III lorsqu'on sauve un tableau à moitié calciné après que Teodora a mis le feu à sa demeure en conclusion de l'épisode précédent.

La distribution vocale est inégale, mais comprend de très bons éléments.
Dans le rôle-titre, Rubens Pelizzari est un ténor puissant, au médium extrêmement large et sonore, un format vocal qu'on imagine idéal dans le répertoire verdien [lire notre chronique du 27 avril 2017]. On ne relève que quelques tout petits temps faibles, dans les passages les plus agités, où le chanteur paraît curieusement en manque de souffle, ceci altérant son intonation. Le bilan est cependant plus que positif, et l’on retient certains aigus projetés avec une force insolente. L'autre ténor Alessandro Luciano (Pisani) est bien moins convaincant. Il a, certes, des capacités d'extension vers l'aigu, mais dans un volume trop réduit où les notes sonnent rétrécies, voire étranglées, si bien qu'il a tendance à disparaitre dans les ensembles. Le baryton Gustavo Castillo (Foscari) fait entendre une belle conduite de sa ligne de chant dans le cantabile, puis un mordant certain dans la cabalette du premier acte. Dans ses plus rares interventions, on repère aussi Szymon Mechliński (Luigi), autre baryton magnifiquement timbré et très sonore, voire brillant dans le registre aigu, avec des notes graves plus discrètes. Dès ses premières mesures, de magnifiques aigus aériens émis derrière la scène, accompagnés par la harpe, on tombe sous le charme du soprano Ekaterina Bakanova (Violetta). La chanteuse confirme ensuite ses qualités, dans de sublimes cavatines qui ressemblent de très près à l'écriture bellinienne – on espère qu'elle abordera Sonnambula et I Puritani le plus vite possible, puis Norma un peu plus tard. Le timbre est coloré, l'agilité déliée, le registre grave est présent, elle est belle en scène et fait preuve de tempérament... bref, une somptueuse découverte ! L'instrument de l'autre soprano, Yasko Sato (Teodora) est moins clair et plus inégal sur l’étendue de la tessiture. Elle tient globalement son rôle, mais le suraigu est parfois plus laborieux et la musicalité moins parfaite.

Le chef Jonathan Brandani amène de séduisants contrastes à la musique, du relief, par moments des accélérations franchement marquées, mais sans brutalité. Il tient l'architecture de la partition, en particulier les grands et longs ensembles qui concluent chaque acte. Les chœurs sont peu nombreux mais réussissent à produire collectivement un son homogène, montrant une attention soutenue aux départs, aux nuances demandées par la direction.

IF