Chroniques

par irma foletti

Il diluvio universale | Le déluge universel
azione tragico-sacra de Gaetano Donizetti

Festival Donizetti Opera / Teatro Donizetti, Bergame
- 25 novembre 2023
Rareté au Festival Donizetti de Bergame : IL DILUVIO UNIVERSALE (1830)...
© gianfranco rota

Le Festival Donizetti Opera monte Il diluvio universale, azione tragico-sacra en trois actes, dans sa version originale créée au Teatro San Carlo de Naples en 1830, sachant que le compositeur bergamasque révisa sa partition quatre ans plus tard, pour le Carlo Felice de Gênes. Tout au long de l’écoute de l’ouvrage, l’amateur de Rossini ne peut s’empêcher de penser à Mosè in Egitto, modèle d’oratorio que Donizetti a porté au delà, faisant en quelque sorte un trait d’union avec le futur Nabucco de Verdi, opéra qui verra le jour en 1842 à La Scala de Milan. Et d’oratorio il est bien question ce soir, tant le spectacle réglé par MASBEDO, duo formé par Nicolò Massazza et Iacopo Bedogni, s’avère statique autour de projections vidéo souvent très envahissantes.

Projeté sur l’écran en fond de plateau, un film en noir et blanc présente, pendant l’Ouverture, les différents protagonistes arrivant à une soirée et laissant leurs manteaux au vestiaire. Des écrans mobiles sont poussés sur roulettes, proposant des images sous-marines, prélude, peut-on penser au déluge universel du livret à venir. Puis les vidéos s’enchaînent sans pause, souvent perturbantes, comme les gros plans du visage, de la bouche, de l’œil du soprano pendant son air d’entrée, mais aussi un dédale en tunnel qu’on emprunte à vitesse accélérée. Plus rarement, certaines images s’avèrent davantage en symbiose avec l’action scénique, en jouant la contemplation plutôt que l’agitation – par exemple, des séquences de pluie qui tombe le long de hauts immeubles. Mais le répit est de courte durée, avec des séquences brèves – volaille qu’on plume, poisson qu’on ouvre, l’ensemble des intervenants étant assis autour d’une grande table – menant rapidement une bonne partie du public à saturation (entre chaque acte, celui-ci manifeste d’ailleurs son fort mécontentement).

Ce ne sont pas, après l’entracte, les deux cameramen qui filment, et l’inévitable projection en direct des images sur grand écran, qui calment les spectateurs les plus énervés. Il faut dire que des doigts qui plongent dans la nourriture, plus précisément dans des desserts en gelée, pour être portés ensuite à la bouche, ainsi que de nombreux gros plans de visages, n’éclairent pas forcément au mieux l’ouvrage de Donizetti. Plus grave, ce perpétuel fond mouvant perturbe sérieusement la concentration de celui qui veut écouter et regarder les chanteurs. La supplique finale de Sela, condamnée par son mari Cadmo pour une fausse tromperie, selon la machination ourdie par sa rivale Ada, ne peut pas non plus être idéalement associée aux vidéos de matières qui tombent inlassablement, comme des ordures. Concernant l’Arche de Noé proprement dite, c’est une plate-forme métallique qui s’élève dans les cintres, Noé restant toutefois sur scène à la conclusion, mais seul debout quand tous sont à terre pendant le déluge.

Le très bon niveau de la distribution vocale contraste avec l’aspect visuel. À commencer par le Noé autoritaire et bien timbré de Nahuel Di Pierro [lire nos chroniques de La bohème, Messe en ut mineur K.427, Così fan tutte, Die Entführung aus dem Serail et Le comte Ory]. On reconnait d’ailleurs dans le vaillant Sì, quell’arca nell’ira de’ venti, entamé par Noé et repris par solistes et choristes, le thème musical qui sera réutilisé dix ans plus tard pour La fille du régiment montée à l’Opéra Comique de Paris (Chacun le dit, chacun le sait). La prière Dio tremendo, onnipossente, qui conclut le deuxième acte, rapproche encore au plus près Noé du Mosè rossinien, quand on a dans l’oreille Dal tuo stellato soglio de ce dernier, avec la même allure pour ces deux airs sublimes airs : harpe qui démarre, puis la basse, rejointe bientôt par d’autres solistes, puis les choristes.

Deux autres rôles sont au moins aussi importants, en premier lieu celui de Sela défendu par le soprano Giuliana Gianfaldoni [lire notre chronique de Beatrice di Tenda], au timbre séduisant et à la technique belcantiste suffisamment huilée, en particulier dans des cabalettes que le chef prend plutôt lentement. Victime expiatoire de l’ouvrage, son grand duo en début de l’Acte II face à son cruel Cadmo de mari résume assez bien son désespoir : « Tradita dall’amica, scacciata dal consorte, dal figlio maledetta… ». Le ténor Enea Scala s’empare du rôle avec sa générosité habituelle : récitatifs d’une grande fermeté, registre grave très confortable et des aigus épanouis – le rôle convient assez idéalement à ses moyens actuels [lire nos chroniques de La vera costanza, Mosè in Egitto, Caterina Cornaro, La Juive, Maria Stuarda, Armida, Viva la mamma, Le duc d’Albe, Semiramide, Guillaume Tell, Otello, Les Troyens, enfin Eduardo e Cristina].

Les autres personnages complètent sans avoir d’air en propre à chanter, y compris le mezzo Maria Elena Pepi qui, d’un très beau timbre profond et chaud, interprète la méchante Ada. On souhaite vivement l’entendre prochainement dans une partie plus développée. Les fils de Noé sont défendus par la basse Nicolò Donini (Jafet) [lire nos chroniques d’Il viaggio a Reims, Il trovatore, Fidelio, Moïse et Pharaon, Xerse et Les martyrs], le ténor Davide Zaccherini (Sem) et le robuste baryton Eduardo Martínez (Cam), l’autre ténor Wangmao Wang incarnant Artoo, ami de Cadmo. Côté féminin, les brues de Noé sont attribuées à Sabrina Gárdez (Tesbite), Erica Artina (Asfene) et Sophie Burns (Abra).

Riccardo Frizza, directeur musical du festival, et l’Orchestra Donizetti Opera délivrent une musique pleine de caractère, tout en maintenant l’équilibre avec le plateau. Comme énoncé plus haut, le chef se met aussi au diapason des possibilités de certains solistes, en adaptant tempi et nuances. Très importants au cours de cet opus, les artistes du Coro dell’Accademia Teatro alla Scala se montrent enthousiastes et homogènes, malgré d’infimes décalages de rythme avec la fosse, lors de quelques départs.

IF