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Chroniques
Il mondo della luna | Le monde de la lune
spectacle d’après Joseph Haydn
En matière de mystification humoristique, les ouvrages lyriques ne sont pas les derniers à fourmiller d’idées : à qui l’on veut berner, on peu présenter une fausse sœur (Don Pasquale), un docteur d’opérette (Le médecin malgré lui) ou encore donner une bonne leçon par un transport farfelu aux Enfers (L’ivrogne corrigé) ou sur une autre planète.
C’est ce dernier stratagème que choisit Ecclitico afin d’abuser le riche Buonafede, barbon passionné d’astronomie dont il convoite la fille Clarice. Grâce à un télescope trafiqué qui laisse voir des jeunes filles soumises et caressantes sur notre satellite naturel, il appâte Buonafede qui avale une potion permettant de les rejoindre. Aidé par le valet Cecco qui jouera le rôle de l’empereur lunaire, Ecclitico transforme son jardin et réveille le vieillard qu’on avait drogué. Ce dernier réclame sa fille et sa servante, ce qu’on lui accorde avant de le contraindre à des noces qu’il n’attendait pas. La mascarade est finalement révélée et le tuteur pardonne, reconnaissant avoir été trop rigide. Au soir de sa vie, ce voyage imaginaire d’une portée initiatique aura permit au patriarche – selon Alexandra Lacroix, en charge de la mise en scène et de la scénographie – « de se défaire de sa rationalité et des codes sociaux qui le régissent pour devenir raisonnable, se découvrir aux autres et à lui-même en tant que sujet libre ».
Se référant à la conquête spatiale et à l’émancipation féminine qui marquèrent l’aube des années soixante-dix, ce pilier de la compagnie Manque Pas d’Airs transpose l’action à l’époque des pulls jacquard et boîtes en plastique, des cuissardes et mensuels masculins. Un érotisme certain imprègne la première partie (soupirs suggestifs dans un micro, scènes de douche en ombre chinoise) qui souligne paradoxalement le manque de fantaisie de la seconde, lors de la farce proprement dite. De même le puriste pourra-t-il regretter les créations sonores de Martin Fouilleul et Olivier Rosset, bruitage de science-fiction auxquels s’ajoutent, sur scène, des bruits de clavier d’ordinateur, d’une visionneuse ou d’un sèche-cheveux.
Opéra bouffe écrit par Haydn d’après Goldoni et présenté à la cour le 3 août 1777 pour les noces du fils de Nicolas Esterhazy, Il mondo della luna compte à l’origine sept chanteurs et dure plus de deux heures et demie. La présente adaptation l’ampute d’une bonne partie et ne garde que cinq solistes. Doté d’une solide expérience dans le baroque, Cecil Gallois (Ecclitico) s’avère un contre-ténor ferme et stable qui livre des duos équilibrés avec Charlotte Dellion (Clarice), soprano à la pâte généreuse, un peu raide cependant. Pauline Sabatier (Lisetta) offre un mezzo efficace, tandis que François Rougier (Cecco) se révèle un ténor tendrement incisif, aux piani délicats. Pour sa part, le baryton-basse Guilhem Souyri (Buonafede) ne manque pas de sonorité. Enfin, le jeu nuancé de Camille Delaforge au pianoforte est un atout pour cette production qui, si elle peine parfois à faire sourire, n’est aucunement indigne – et vous accueille encore jusqu’au 21 avril prochain.
LB