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Il mondo della luna | Le monde de la lune
opéra de Joseph Haydn
Alors qu’il assistait son confrère Gregor Werner (1693-1766) après avoir contracté avec le prince austro-hongrois Paul Esterházy (1er mai 1761), la disparition des deux hommes permet à Joseph Haydn de devenir maître de chapelle du Kastély Esterházy – le palais mis en chantier par Nikolaus, frère du défunt, qui règne désormais à la cour d’Eisenstadt. C’est une grande période d’activité pour le natif de Rohrau puisque la grand majorité de ses symphonies verront le jour sous cette protection, ainsi que treize opéras écrits entre 1763 (Acide) et 1791 (L'anima del filosofo). Parmi ceux-ci l’on compte Il monde della luna (3 août 1777), un dramma giocoso en trois actes déjà mis en musique par Galuppi (1750), Piccinni (1770) et Astarita (1774).
Si l’on en croit les Mémoires du célèbre Carlo Goldoni (1707-1793), l’origine de son livret serait une pièce de l’ancienne Foire de Paris, Arlequin, empereur dans la lune (1684), écrite par d’Anne Mauduit de Fatouville, dit Nolant de Fatouville, misanthrope et satiriste de premier ordre. C’est une farce classique où, pour permettre non pas un, ni deux, mais trois mariages, un barbon est mystifié, se croyant transporté sur la Lune, astre à la vie sociale étonnante. Admiratif du Vénitien, le metteur en scène Marc Paquien écrit : « ce n’est pas une peinture de caractère ; il ne traque pas le ridicule et l’imposture comme Molière ou le sentiment amoureux dans un monde abstrait comme Marivaux, c’est un peintre du Monde » [lire nos chroniques de Phèdre, L’heure espagnole et Les aveugles].
La scénographie d’Alain Lagarde [lire notre chronique du 9 novembre 2007] semble rendre hommage au théâtre de tréteaux, avec un décor épuré : quelques chaises disparates à proximité du public, des empilements de palettes peintes et un écran en fond de scène, sur lequel passent, à l’occasion, des extraits de films en noir et blanc, plus ou moins connus (Méliès, etc.), qui incarnent notamment les visions érotiques offertes à une dupe pour l’appâter. Le reste repose sur le jeu dynamique des jeunes élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, habillés par Lili Kendaka et éclairés par Pierre Gaillardot. Si elles ne gâchent pas un spectacle alerte et drôle, on continue de s’interroger sur ces lettres d’alphabet géantes, présence récurrente de nos jours… [lire notre chronique du 13 janvier 2018].
Côté dames, la distribution installe deux soprani : Mariamielle Lamagat (Clarice), d’une grande ampleur et plénitude de chant, et Makeda Monnet (Flaminia), à l’expression plus précautionneuse et brute. Quant à elle, Brenda Poupard (Lisetta) offre un mezzo assez étroit mais capable de fulgurance, tandis que Lise Nougier (Ernesto) ravit par une belle ligne vocale et un timbre vibrant. Côté messieurs s’affirment les ténors Riccardo Romeo (Ecclitico), qui allie stabilité et souplesse, sources d’aigus lumineux et tendres, et Kaëlig Boché (Cecco), plus mat mais tout aussi sonore. Edwin Fardini (Buonafede) est un baryton puissant et nuancé, aux graves généreux. N’oublions pas le chœur, trio équilibré formé par Basil Belmudes, Thibault Dhilly et Noé Rollet.
Pour Tito Ceccherini, « Haydn a un statut particulier parce qu’il a lui-même décidé de s’abstenir du genre au moment où le génie de Mozart a donné à l’évolution du théâtre lyrique un certain élan qui s’émancipait de la tradition » (brochure de salle). Il n’empêche qu’il marque de son nom la période classique (1760-1810), avec une musique exigeante, idéale pour former les jeunes membres de l’Orchestre du conservatoire de Paris. Le chef italien offre une Ouverture pleine d’allant, presque rude, avant de se montrer très attentif aux chanteurs, jusqu’à la caresse [lire nos chroniques des 30 janvier et 8 décembre 2012, du 18 avril 2014, des 2 octobre et 27 novembre 2015, du 17 novembre 2017 et du 12 avril 2018]. Le lecteur en pourra juger grâce à la retransmission de la représentation du 9 mars, disponible sur le site du CNSMD.
LB