Chroniques

par bertrand bolognesi

Il Nerone | Néron
(L’Incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée)

opéra de Claudio Monteverdi
Opéra national de Paris / Athénée Théâtre Louis Jouvet
- 2 mars 2022
Les jeunes chanteurs de l'Académie de l'Opéra national de Paris dans "Nerone"
© vincent lappartient | studio j’adore ce que vous faites

Dans le sillage des activités de son Atelier lyrique [lire nos chroniques de Les aveugles, Les troqueurs, de la soirée Schumann, de Mirandolina, Street Scene, Orphée et Eurydice, de la remise des prix lyriques de l’AROP et de la soirée Mozart-Rossini], l’Opéra national de Paris créait en 2015 son Académie, entretenant un compagnonnage pédagogique à travers la résidence d’une trentaine de jeunes artistes. Au fil de plusieurs récitals et productions, dont nous applaudissions Owen Wingrave et The rape of Lucretia de Britten [lire nos chroniques du 19 novembre 2016 et du 14 mai 2021], c’est au répertoire baroque que s’attelle l’équipe de cette saison, avec L’incoronazione di Poppea de Monteverdi. Mieux encore, Vincent Dumestre, auquel est confié la teneur strictement musicale du projet, a souhaité imaginer ce que put être la représentation de l’ouvrage en 1647 dans un petit théâtre « sans machinerie ni scénographie, à l’improviste », selon le castrat Stefano Costa dans une lettre (brochure de salle), et sous le titre Il Nerone. Dans cet élan utopique de l’authenticité historique, le chef s’en tient à la fosse restreinte en timbres, telle qu’indiquée par le compositeur, laissant à d’autres toute inflation instrumentale. Dans le même esprit, il écarte le duo final parce au vu des fortes probabilités qu’il ne soit en rien originel mais quelque ajout postérieur de circonstance.

Dès les premières mesures, l’évidence s’impose : Vincent Dumestre et les musiciens de son Poème Harmonique [lire nos chroniques de Cadmus et Hermione, El cancionero de Don Luis, Te Deum, Egisto, Dido and Æneas, Il terremoto, Coronis et Une procession à Venise, ainsi que des CD Cœur et Te Deum, ce dernier salué par notre A! trimestriel] ont beaucoup à nous dire, à faire entendre, comme à donner aux chanteurs. Outre la subtile délicatesse à l’œuvre dans le soutien dramatique, la présente lecture offre plusieurs moments de pur délice – la ritournelle venant conclure la maxime d’Arnalta, par exemple, ou encore la gravité brute qui caractérise la saisissante nudité des adieux d’Ottavia.

En saurait-on dire autant de la proposition scénique ? Rien n’est moins sûr… De la stéréotypie d’une Rome bling-bling à la gesticulation parasite, la valse-hésitation, entre l’épure propice à une portée spirituelle et l’humour où peut aussi se circonscrire l’argument, souffre d’une cruelle carence de propos et, ce faisant, essouffle trop vite le peu d’inventivité qui la traverse. Avec un plateau de chanteurs-acteurs rompus à l’exercice, la chose eut pu se moins laisser remarquer, chacun apportant son métier à y vivre au mieux de ses possibilités, mais habitée par de jeunes artistes, qui bien plutôt auraient sans doute eu besoin qu’on les aidât, elle montre assez crument tout ce qui lui manque.

Sur le plateau de l’Athénée Théâtre Louis Jouvet (coproducteur du spectacle avec l’Opéra de Dijon et l’Académie de l’Opéra national de Paris), une douzaine d’artistes font évoluer plus de vingt personnages, certains logés à plusieurs dans un seul gosier. Ainsi d’Yiorgo Ioannou qui prête un baryton ferme à cinq incarnations, dont la voix hors-champ de Mercure, du ténor bien accroché de Léo Vermot Desroches en quatre petits rôles dont l’attachant Lucano, enfin de Thomas Ricart (Soldato/Famigliare di Seneca/Liberto/Trubuni) dont le ténor aérien se joue des traits vocalisés. Les trois allégories ne déméritent pas : Lise Nougier dont l’impact généreux et la perfection d’émission s’illustrent en Virtu autant qu’en Nutrice, le soprano Xenia Proshina, applaudie tout récemment au Palais Garnier [lire notre chronique des Nozze di Figaro], tour à tour Amore et Valetto efficaces, avec l’air de ce dernier livré par une fiabilité confondante, et Martina Russomanno, soprano d’abord gentil, voire timoré en Fortuna, qui déploie plus tard ses moyens en Drusilla.

Le contre-ténor Léopold Gilloots-Laforge campe un Ottone fort serti dont la justesse se trouve peu à peu en difficulté. On retrouve l’excellente Lucie Peyramaure, mezzo généreux au chant évident, au service d’une Ottavia émouvante [lire notre chronique du 13 novembre 2019]. Seneca bénéficie de la saine musicalité d’Alejandro Baliñas Vieites, basse de format confortable et au registre idéalement étendu. D’un timbre coloré aux indéniables vertus expressives, le mezzo Marine Chagnon apporte à Poppea ce qu’il faut de charisme et de joyeuse perfidie, nonobstant quelques tics d’émission, partagés avec certaines de nos stars lyriques, dont il conviendra de débarrasser son chant afin qu’il se révèle plus pleinement encore. Enfin, le rôle-titre – s’agissant ici d’Il Nerone, rappelons-le – échoit à Fernando Escalona, contre-ténor auquel il faut un peu de temps pour œuvrer mais qui finit par transmettre honorablement sa partie ; son jeu convainc moins, sans qu’il soit possible de distinguer dans son outrance et ses grimaces la part qui lui revient et celle qui relève de la direction d’acteurs. À cette galerie de portraits manque une figure, et non des moindres. Mention spéciale au dernier contre-ténor de la soirée, Léo Fernique, celui dont le chant s’avère le plus maîtrisé des trois. Loin de limiter la truculente Arnalta à son caractère comique, il réussit, grâce à un dosage remarquable du jeu, à la rendre touchante. Cette première d’une série de dix représentations – six à l’Athénée (jusqu’au 12 mars) puis quatre sur la scène dijonnaise (du 20 au 26) –, promet de voir se bonifier bien vite les prestations de chacun, n’en doutons pas.

BB