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Chroniques
Il trovatore | Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi
Avouons le bien bas : on est sorti un peu perplexe du Théâtre antique à l'issue de la triomphale première de ce Trovatore, précédée d'un battage publicitaire sans précédent dans l'histoire de l'opéra, puisque le spectacle devait être retransmis par France 2 en soi disant direct le mardi suivant, avec reportages sur notre ténor national et hommage appuyé du chef de l'État à ce dernier.
On sait que, dans l'œuvre de Verdi, le Trouvère marque un dernier hommage à la mélodie lunaire de Bellini, à l’émission extatique et angélique de Donizetti, voire aux célèbres staccati rossiniens. À aucun moment Verdi ne privilégie l'accent dramatique, accordant plutôt la prééminence au chant le plus pur. C'est pour cela qu'il nous faut, en premier lieu – en tenant compte des aléas du plein air, avec quelques décalages fosse/plateau inévitables – rendre hommage au travail de Gianandrea Noseda qui, à la tête de l'Orchestre National de France, a donné une densité mystérieuse à la célèbre partition. Les phrasés sont très soignés, le continuum dramatique bien en place, le climat irrésistible. D'autant que la masse chorale, réunissant des choristes d’Avignon, Nancy, Nice et Toulon, boit de l'œil et de l'oreille un chef à l’implacable précision rythmique.
La mise en scène de Charles Roubaud ? Comme chaque année, des projections en-veux-tu-en-voilà : oriflammes de rigueur, bougies, voire sosie du Palais des Papes ou embrasement final (Azucena ressemble à Norma ou Jeanne au bûcher) ornent agréablement le Mur, l'habillent même, pourrait-on dire, et apportent une indéniable touche de poésie. Pour le reste, du traditionnel ; on rentre à gauche, on sort à droite, on multiplie braseros, poses et attitudes convenues. Efficacement réglés, les déplacements de foule semblent plus utilisés pour concentrer l'attention sur les solistes.
Côté protagonistes, Susan Neves aborde Leonora avec un filet de voix aigre-doux qui n'est à aucun moment celui du rôle. Trop deNorma, Turandot, Abigail sont passées par là. Consciente de ses possibilités, l'imposant soprano américain, par ailleurs fort bien habillée par Katia Duflot, plus tendre que vraiment tourmentée tout au long de la soirée, a carrément sucré sa cabalette du dernier acte ! Ne faisons pas encore une fois chanter nos cercueils… Seng-Hyoun Ko, qui avait fait grande impression l'an passé dans Amonasro, se trouve dans une situation inverse : la voix est franche, sonore, mais le baryton campe un Luna vériste d’une basse qui ne s’avère pas toujours belle.
Rien à jeter avec l'Azucena de Mzia Nioradze. Remplaçant au pied levé Larissa Diadkova, la Géorgienne était certainement la seule à chanter dans son arbre généalogique. Tout comme, d'ailleurs, les rôles secondaires. Fort pertinents Ferrando d’Arutjun Kotchinian ou Ruiz de Sébastien Guèze qui, en septembre prochain, sera à Marseille le Marius de Kosma (en double distribution avec Roberto Alagna).
Ce qui nous permet d'aborder la prestation du ténor vedette et de reconnaître que si, l'an passé, il nous avait offert un inénarrable Nemorino in Egitto, cette année son Nemorino in Biscaye ne nage pas dans des eaux aussi troubles. Roberto Alagna n'a jamais eu dans ses atouts ce que les Italiens appellent l'acuto bravade. À son actif, toutefois, un élan spontané, une projection réjouissante, une ligne séduisante. Il double courageusement Di quella pira mais, toute sa partie étant transposé d'un bon demi ton – cosi fan tutti i tenori oggi –, il finit son air de bravoure sur un ut mâtiné cochon-dinde qui n'en n'est pas un (plutôt un si inachevé sur all'ar). N’'y voyant que feu, le public hurle à tout rompre. Vox populi, vox dei…
CC