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Chroniques
Il turco in Italia | Le Turc en Italie
opéra de Gioacchino Rossini
Dans la programmation du Münchner Opernfestspiele, l'opéra de ce soir fait exception. Production créée à la Staatsoper de Hambourg, ce Turco in Italia, qui n'avait pas encore été monté durant la saison, est ici présenté en avant-première, avant sa reprise à l'automne. Nous visitons également un autre théâtre, situé sur la rive droite de l'Isar, dans un quartier un peu périphérique par rapport au Nationaltheater qui, lui, se trouve en plein centre historique. Le Prinzregententheater est un bel édifice dont l'architecture s'inspire de l'Antiquité ; la salle a la forme d'un amphithéâtre, donnant de chaque siège une bonne vue de la scène. L'acoustique est excellente, la fosse très profonde permettant à l'orchestre de jouer puissamment sans couvrir les chanteurs.
Le metteur en scène Christoph Loy ne cherche pas midi à quatorze heures : Il Turco in Italia est une comédie, il signe donc un spectacle drôle et simple, et s'efforce avant tout de divertir l'assemblée, en situant l'action dans les années cinquante-soixante, mais toujours à Naples. Le vaste plateau est assez dépouillé, pour permettre les nombreux changements de lieux du livret, clairement figurés par quelques éléments de décor. Certains d'entre eux sont de belles trouvailles, comme, par exemple, la célèbre baie qui se déploie en un clin d'œil sur une grande toile que les choristes, déguisés en machinistes de la Staatsoper, sont venus fixer à la vue de tous, à l'Acte I. On peut également citer, à la fin de la représentation, le joli parallèle tiré entre les vies futures des deux couples reconstitués : Zaida et Selim boivent du thé sur des poufs et des tapis, tandis que Fiorilla et Geronio rentrent dans un intérieur typique du début des années 1960, lui en singlet, elle en cache poussières. Mais les hommes sont partout les mêmes, en Italie ou en Turquie : un match de foot' à la télévision et plus rien ni personne ne les fait décoller de leur fauteuil. On a également droit au gag de la caravane durant l'ouverture : des dizaines de gitans sortent par petits groupes d'une minuscule roulotte. En sus d'être simple et drôle, cette production a le mérite de pratiquer un humour relativement fin dont les procédés ne surchargent pas l'action. Ce soir, c'est le livret qui compte, et Loy a décidé de lui donner une illustration personnelle en lui faisant confiance. Ayant subi récemment sa vision morne et intellectualisante de l'Enlèvement au sérail, nous n'en sommes que plus étonnés.
Depuis le début de notre séjour munichois, nous fûmes à chaque fois ravis par la qualité des distributions proposées. Une nouvelle fois, nous entendons une équipe soudée, aux individualités de haut niveau, chacun semblant s'amuser énormément et pousser ses partenaires à se surpasser. Chanteuse assez fantasque, Alexandrina Pendatchanska trouve en Fiorilla un rôle à la mesure de son grand talent. Fort élégante dans des tenues la mettant en valeur, elle révèle un beau tempérament d'actrice, tout en produisant un chant d'une qualité exceptionnelle, sensuel et vibrant, à la vocalisation spectaculaire et à l'étendue dynamique impressionnante. Chantant souvent piano, elle est séduisante, insinuante, féline avec Selim, mais devant son mari, ou quand son jeune amant l'ennuie, elle se fait impérieuse, courroucée et capricieuse, avant de retrouver simplicité et humilité lorsqu'elle se croit rejetée par le légitime, donnant alors un magnifique air Squalida veste, e bruna au souffle long et aux colorations splendides.
Quinze ans après avoir enregistré le rôle dans l'excellente intégrale Marriner, Simone Alaimo reste un Selim de premier plan. La voix s'est un peu durcie et le vibrato est plus prononcé, mais le timbre garde une belle part de sa séduction, le souffle est long, l'aigu conquérant, le chant noble et stylé. Carlos Chausson est un Don Geronio impeccable, acteur comique ballotté par les événements, au chant mordant, souple et puissant. Tirant les ficelles de cette comédie, le Prosdocimo de Roberto De Candia, progressivement recouvert de bandages à mesure qu'il reçoit les coups de ses cobayes, est plutôt rustique, avec son timbre peu coloré aux aigus ouverts ; mais le chant est puissant et la diction superbe. David Alegret est physiquement très crédible en bellâtre napolitain. Émis par ce grand bonhomme, son ténor léger un peu frêle étonne, mais, passée la surprise, on se régale de cette voix assez nasale, à la technique irréprochable et aux aigus solaires. La seule déception vient de la Zaida de Valentina Kutzarova, à la voix ni belle ni souple et à la technique rudimentaire.
Vieux routier du circuit italien,Maurizio Barbacini dirige l'œuvre de manière professionnelle, sans génie, mais avec compétence et en obtenant de l'orchestre bavarois un style rossinien assez soigné. Il tient bien le plateau et mène sans problème l'ensemble à bon port. Les quelques sifflets qu'il reçoit aux saluts, chaleureux pour les autres protagonistes, sont franchement injustes.
RL