Chroniques

par laurent bergnach

Il Turco in Italia | Le Turc en Italie
opéra de Gioacchino Rossini

Opéra de Lausanne
- 27 septembre 2006
Il Turco in Italia (Rossini) par Tobias Richter à l'Opéra de Lausanne
© marc vanappelghem

« Une femme qui a ri de son mari ne peut plus l'aimer », disait Balzac en son temps. Sur scène, on ne compte plus les héroïnes qui d’un époux se jouent, quitte à le ridiculiser publiquement si la leçon l'exige. Donna Fiorilla est une de ces coquettes délurées, habituée à piller les boutiques et à se faire les ongles, à une exception près : elle reste honnête, de même que son peureux de Don Geronio n'est pas un barbon dominateur, avare ou jaloux.

Avec Il Turco in Italia, Felice Romani, librettiste officiel de La Scala, a livré un dramma buffo en deux actes plein de tendresse. Malheureusement, la création du 14 août 1814 fut un désastre. Pour son troisième ouvrage présenté à Milan, le jeune Rossini (vingt-deux ans) est accusé d'avoir plagié son Italiana in Algeri, donné à Venise l'année précédente. Confusion dans les titres et jalousie de métropoles font passer le public à côté d'une musique entièrement nouvelle, composée en trois semaines, et d'un livret qui tente une mise en abyme du théâtre autant qu'un regard neuf sur l'Étranger.

En effet, entre Voltaire décrivant les Mahométans comme « tyrans des femmes et ennemis des arts » et le Bassa Selim exemplaire de Mozart, Rossini trouve un compromis : Selim est tantôt cruel, tantôt plein de civilité, objet de curiosité ou bien digne d'amour (Zaida). Bref, sans être encore dans le réalisme, on est loin de la caricature – ce qui fait l'intérêt de l'ouvrage. Il faut dire que le compositeur vit en pleine Restauration, une époque qui, après maintes révolutions et campagnes napoléoniennes, aspire au calme. Tobias Richter retrouve cette situation historique en investissant une station balnéaire des années cinquante, quintessence de la dolce vita. Belles élégantes, chaises longues ou ballades en Vespa, tout invite au farniente et à l'amour après le temps du chaos. Regrettant juste un plateau surchargé de meubles et de figurants, on entre vite dans cette atmosphère bouffonne où la finesse du jeu compte plus que les gags.

Originaire de Riga, Inga Kalna est une Fiorilla attachante, à l'aise dans ses vocalises, dont le timbre d’abord un peu dur s'arrondit rapidement. On est bluffé par sa tentative d'amadouer le mari (Alberto Rinaldi expressif), comme à la treizième scène de l'Acte I. Avec de la rondeur, un chant souple et évident, Brigitte Hool offre une Zaida pleine d'esprit. Membres de l'EnVOL, on se réjouit de retrouver bientôt le soprano dans Amelia al ballo, en compagnie de Davide Cicchetti, ici Albazar corsé. Avouant quarante-cinq productions de l'ouvrage, basso di agilitá un peu raide au départ, Simone Alaimo incarne Selim avec vaillance. Même vitalité chez le Prosdocimo de Riccardo Novaro, crédible en poète qui cherche l’inspiration. Tendu sur certains passages vers l'aigu, Kenneth Tarver offre un Don Narciso d'une riche couleur. Le Chœur de l'Opéra de Lausanne est excellent et le chef Paolo Arrivabeni nuancé et tonique, parfaitement respectueux des chanteurs. Ce spectacle sera repris à l'Opéra de Vichy dans le cadre des Rencontres Lyriques Européennes, le samedi 14 octobre.

LB