Chroniques

par bertrand bolognesi

Imeneo
opéra de Georg Friedrich Händel

Händel Festspiel / Opernhaus, Halle
- 8 juin 2003
© gerd kiermeyer

Le Festival Händel de Halle, ville saxonne où le compositeur naquit en 1685, propose cette année trois de ses opéras, trois raretés dont une production reprise de l’édition 2002. L’an passé, nous y avions entendu une Arianna in Creta de qualité, mais sans mise en scène ; les productions que nous suivrons durant ces quelques jours ont l’avantage d’être représentés scéniquement.

Tout d’abord cet Imeneo de 1738.
Ce soir, inquiétude à l’Opernhaus : souffrante, Ulrike Schneider ne pourra pas assumer la prestation attendue. On ne trouve personne pour un remplacement de dernière minute, pas même une chanteuse qui déchiffrerait depuis la fosse, servant de support au jeu de scène du soprano hors service. Le chef de l’Orchestre du Festival Händel, Uwe Grodd, annonce la béquille imaginée pour ne pas avoir à annuler la représentation. Mon allemand étant ce qu’il est, j’ai cru ne pas comprendre, ou qu’il s’agissait d’une plaisanterie, lorsqu’il expliqua que la souffleuse remplacerait Madame Schneider, dirait le texte (sans le chanter, tout de même) de Tirinto, et en costume s’il vous plait !

Lors de la répétition de l’après-midi, le chef opéra quelques coupures dans l’accompagnement des recitativi, ainsi que sur la plupart des arie de Tirinto dont musicalement il n’a gardé que la conclusion des Da Capi, ce qui permet de rendre compte à la fois de la structure de la pièce et du climat de ces numéros. Le surtitrage poursuivant son déroulement pendant la musique, le public n’est pas perturbé dans sa compréhension de l’action et de la dramaturgie. La souffleuse connaît parfaitement les déplacements, les intentions de jeu, la gestuelle du spectacle : elle est a priori la mieux appropriée pour une telle improvisation. Cela n’enlève rien à son courage, son mérite et son talent, une vraie présence scénique ayant su par endroit faire oublier le handicap de la soirée, ni à l’ingéniosité des adaptations du chef. Par un orage violent, le ciel manifestait une certaine malveillance que la bonne volonté de tous a vaincue, puisque vents, nuages et tempêtes étaient dissipés à la fin du dernier acte ; l’exploit de Regina Karpinski (la souffleuse) a-t-il séduit Borée ?

Dès l’Ouverture, Uwe Grodd fait entendre un Händel où l’équilibre entre la vivacité, la hargne, la morsure des attaques et la majesté au grand souffle d’un phrasé toujours élégant s’avère plutôt heureux. Si nous y entendons naturellement quelques traces vivaldiennes, une parenté avec Bach et un avant-goût de classicisme lorgnant, toute proportion gardée, vers les symphonies de Haydn, viennent enrichir une interprétation bien pensée. D’ailleurs, lorsque l’orchestre joue en entier la partie instrumentale de Sorge nell’alma mia sans la voix de Tirinto (Acte II), la salle le salue chaleureusement par des applaudissements nourris. On aura cependant remarqué de fréquents soucis de justesse dans les soli de violon (principalement dans l’aria de Rosmene au premier acte, Ingrata mai non fu). En revanche, le fort beau travail de Katrin Wittrisch au clavecin durant Simplicetta, la saetta… (Rosmene, Acte II, Scène 2) mérite qu’on l’en félicite.

La mise en scène de Michael McCaffery situe l’action dans un large salon classique orné d’une tapisserie exotique et agrémenté de chaises telles qu’on en peut rencontrer dans les caprices orientalistes des châteaux anglais du milieu du XVIIIe siècle. La chinoiserie est ici bien présente, mais sans reconstitution. Les motifs floraux débordent des murs et envahissent les portes, invitant plutôt à la fantaisie. La société de l’époque est montrée comme grotesque et chichiteuse, arborant des perruques monstrueuses et de poudreux maquillages (le chœur et Argenio). L’ouvrage délaisse quelque peu les grands thèmes baroques d’affirmation du pouvoir, de lutte pour l’obtenir et le maintenir, et s’apparente déjà au drame bourgeois. Aussi la scénographie imaginée est-elle à même d’en rendre compte. On aura remarqué un soin particulier du détail, du moindre geste, avec la construction de chaque personnage, tant pour une cohérence psychologique que pour servir une esthétique réussie.

Mis à part quelques problèmes de justesse et de coordination du chœur, le plateau vocal n’est pas en reste. Il affiche de bons moyens, mais pas toujours utilisés à bon escient. On constate une tendance commune à trois des artistes que l’on pourra peut-être imputer au besoin de se rassurer en faisant du son pour rester sûrs malgré le manquement d’un partenaire important.

Ainsi la Rosmene d’Alexandra Coku s’efforce-t-elle à chanter tous les recitativi, offrant généreusement des décibels à une salle assez réduite dans ses dimensions en oubliant qu’elle travaille avec un orchestre baroque et non avec la fosse d’Elektra. Un résultat fort inégal : des aigus presque criés, des vocalises complètement détimbrées, donnant l’impression d’une cohabitation de deux techniques antagonistes en un seul gosier. Même désagrément avec Otto Katzameier qui fait de la voix dans un Imeneo sans style au jeu racoleur, détimbrant la plupart des aigus et alourdissant les vocalises, rendues poussives – Esser mia dovra la bella tortorella à l’Acte I – ou fâcheusement nasillardes – acte suivant, Chi scherza colle rose un di si pungera. Enfin, la basse Gregory Reinhart chante un Argenio braillard du début à la fin, sans nuance et en exagérant son vibrato : c’est curieux lorsqu’on l’a entendu dans d’autres productions livrer des prestations d’une toute autre qualité – récemment L’Argia (Cesti), The Rake’s Progress (Stravinsky) ou encore K… (Manoury). À forcer inconsidérément l’appui, Su l’arena di barbara scena (début d’Acte II) se fait terriblement bas.

Dieu merci, Clomiri est confié à Martina Rüping dont le phrasé assez mozartien convient idéalement au rôle. Dès V’e un infelice, che per te muore, elle fait preuve d’un chant intelligent et dosé tout en offrant un timbre clair, présent autant que souple. Les vocalises sont d’une propreté irréprochable et le personnage rafraîchissant et attachant, d’une fort belle présence en scène comme en témoigne une fin de spectacle qui le révèle désemparé au point de se trancher les veines, ni vu ni connu, dans la liesse générale. Bref, Martina Rüping, Michael McCaffery et Uwe Grodd nous ont charmés.

BB