Chroniques

par bertrand bolognesi

Ingo Metzmacher dirige l’Orchestre de Paris
Benjamin Britten | War Requiem Op.66

Salle Pleyel, Paris
- 21 janvier 2010
© mathias both

Fascinant d’austérité, une austérité contribuant à son impact dramatique, le War Requiem de Britten demeure une page aussi fameuse que rare. Convoquant un grand effectif dont elle use avec parcimonie, l’œuvre ne cesse de questionner les artistes quant aux lieux où la jouer. Conçu pour la consécration de la nouvelle cathédrale de Coventry (détruite par les bombardements) où il sera créé au printemps 1962, ce Requiem de guerre spatialise symboliquement l’usage qu’il fait de ses forces, de sorte que son exécution en salle de concert pose plus d’un problème. Mais le donner dans une église – on se souvient de l’interprétation magistrale de Kurt Masur à la Basilique Saint Denis [lire notre chronique du 4 juillet 2007] – induit d’autres désagréments, le fondu parfois brouillons des sources sonores n’étant pas des moindres. Que faire ? Ici, assez judicieusement, le chœur d’enfant est placé dans les galeries d’accès de l’orchestre et le soprano siège en tribune, légèrement en exergue, tandis que l’orchestre apparaît en sa masse, sans distinction des groupes d’intervention. « Groupes d’interventions »… voilà un drôle de terme pour parler de musique, convenons-en, terme qui pourrait bien ressembler à brigades, tant qu’on y est, le message de paix de cette vaste messe profane en étant porté par autant d’ambassades instrumentales.

Ingo Metzmacher ouvre le Requiem aeternam dans une gangue recueillie où tout s’articule en une extrême définition, une remarquable intelligibilité de lecture, également vérifiable pour les interventions du Chœur de l’Orchestre de Paris, parfaitement préparé par Didier Bouture et Geoffroy Jourdain (Kyrie impeccablement étale). Soignant particulièrement les équilibres, le chef allemand ciselle le geste au plus proche de l’intention musicale. Après le texte latin du chœur, les vers de Wilfred Owen, à l’antithèse du patriotisme aveugle de ses contemporains, bénéficient de l’impact clair et sainement projeté du ténor Paul Groves dont le chant ose des nuances d’une infinie tendresse. On saluera également la précision et la couleur des sonneries de cuivres, typiquement britteniennes, introduisant le vaste Dies Irae dont Meztmacher respire magnifiquement le silence, gérant l’espace acoustique à l’écoute plutôt qu’à la jauge de la notation (tout en la respectant, cela va de soi). Le contraste se révèle ici plus marqué, dans une dynamique toujours inventive.

« Bugles sang, saddening the evening air… », appuie la partie de baryton…
Un baryton ici normalement distribué, comme en témoignent, tout au long de l’exécution, émission maniérée, style ampoulé, phonation des plus lourdes dont la pâte change dangereusement selon le registre convoqué. Matthias Goerne ne convainc pas, avec un grave écrasé, un haut-médium pourtant plus clair, intéressant, même, et une approche tellement en contrôle qu’elle ne libère jamais le chant, encore moins la musicalité.

À l’inverse, le soprano Indra Thomas livre un chant à la vibrante autorité, dans une rare opulence de moyens, auquel répond le relief du chœur. L’aigu est imposant, impressionnante la fiabilité des intervalles, et la déclamation saisissante. Après la subtile lumière chorale du Recordare, le baryton nie, tout simplement, la légèreté spécifique requise, sans compter une diction rendant le texte incompréhensible – n’en parlons plus, cela vaut mieux ! La richesse expressive d’Indra Tomas s’affirme plus encore dans le Lacrymosa, directement prenant, mariant la palette de nuances avantageusement développée de Paul Groves dans l’entrelacs latin/anglais que ponctuent les cloches, pur moment d’émotion.

Notons encore les appels de véritable pythie du soprano américain dans le Sanctus, l’indicible souplesse du ténor dans l’Agnus Dei, modulant des mixités savantes, un Libera me où littéralement impossible devient le baryton, enfin le retour de l’Introït doctement exploité par Ingo Metzmacher, malgré un chœur dont commencent à fatiguer les voix masculines.

Malgré les quelques réserves émises, c’est un fort beau War Requiem qu’ont offert musiciens et choristes de l’Orchestre de Paris, ce soir, ainsi que les jeunes gens de la Maîtrise de Paris.

BB