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Chroniques
Ingo Metzmacher dirige le Koninklijk Concertgebouworkest
Alban Berg,Max Reger et Rob Zuidam
C’est toujours un événement que de pouvoir assister, sur notre territoire, à un concert donné par les excellents musiciens du Koninklijk Concertgebouworkest. Ce soir, Ingo Metzmacher dirige la prestigieuse formation dans un programme curieusement constitué (s’intégrant dans le cycle Opéra en concert de la Biennale d’art vocale proposée par la Cité de la Musique). Certes, il regroupe deux œuvres écrites dans la même décennie par des compositeurs qui furent contemporains, mais cela ne suffit pas à rendre cohérent un choix d’esthétiques si diverses.
Partant de ce qui nous serait le plus proche, la soirée est ouverte par Trance Position, la seconde partie d’une œuvre, Trance Symphonies, qui en compte quatre : Trance Formations, Trance Figurations et Trance Dance. C’est en 1994 que le Nederlands Radio Symfonie Orkest créa cette pièce de Rob Zuidam (né à Gouda en 1964). On rencontre plusieurs influences dans cette partition luxueusement servie par les interprètes. Ainsi entend-on le Berio de la fin dans la « décoration »de longs à-plats statiques, croise-t-on Ligeti dans certains entrelacs, pour soulever une clé de voûte triomphalement tonale qui pourrait bien faire apparaître Cléopâtre d’une trappe.
Présenté au public allemand un an avant la première de l’opéra dont ils sont extraits, les Trois fragments de Wozzeck, conçus par Alban Berg entre 1917 et 1922, sont chantés par le soprano Claudia Barainsky. Si l’on apprécie l’aigu facile de cette voix, le médium et le grave satisfont peu, surtout avec une orchestration parfois chargée. De fait, on remarquera que Metzmacher goûte et partage les délices d’un orchestre offrant de rares possibilités à son expressivité. Indiscutables unissons de contrebasses, dosage minutieux de chaque nuance, cuivres toujours confortablement attaqués, interventions chambristes soignées (magnifique quatuor à cordes de la fin du deuxième fragment, par exemple), profondeur d’une couleur globale généreusement lyrique sont autant d’avantages qui nécessitent une projection plus grande. Si, d’aventure, l’on remarque que cette lecture oublie l’âpreté de Wozzeck, on notera qu’il s’agit là de fragments et non d’une exécution de l’opéra en version de concert.
Quatre ans après la création de Wozzeck, Berg, qui travaille déjà à sa Lulu, répond à une commande du soprano Ruzena Herlinger – une artiste qui fit beaucoup pour les modernes de sa génération, principalement pour les Lieder de Webern qu’elle interpréta ici et là – par l’air de concert en quatre séquences, Der Wein, inspiré d’extraits des Fleurs du mal (Baudelaire), adaptés en langue allemande par Stefan George. Dès l’abord, l’oreille est saisie par l’excellence des bois amstellodamois, concurrençant le souvenir qu’après l’entracte elle avait gardé des cordes. Tout en dessinant subtilement la dynamique, Ingo Metzmacher tire profit de chaque alliage timbrique d’une œuvre somptueusement tissée, au détriment du mouvement. Il en résulte une sorte de lourdeur, malencontreusement contradictoire avec le raffinement de l’approche. Quant à elle, Claudia Barainsky semble plus à son aise, réservant au Vin du solitaire une onctuosité inattendue.
Enfin, contemporaine à quatre ans près des Trois fragments de Wozzeck, la Böcklin Suite Op.128, soit les Vier Tondichtungen für Orchester nach Arnold Böcklin, fut créée par l’auteur, Max Reger, à l’automne 1913. Cette absolue rareté d’un compositeur mariant follement l’influence wagnérienne et la verbosité brahmsienne à l’art de la fugue trouve en Metzmacher un interprète plus inspiré. Der geigende Eremit jouit d’une articulation fort souple, Im Spiel der Wellen s’orne d’une suavité nouvelle, le chef soulignant judicieusement la réminiscence tchaïkovskienne de Der Toteninsel et engageant ensuite une spectaculaire Bacchanal finale. L’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam offre un bel instrument à sa battue (notons, au passage, qu’il l’enregistra autrefois sous la direction de Neeme Järvi).
BB