Chroniques

par laurent bergnach

Inori
adorations de Karlheinz Stockhausen

Festival d’Automne à Paris / Philharmonie
- 14 septembre 2018
Gergely Madaras joue Inori (1974) de Karlheinz Stockhausen
© avatam studio

Nourri par divers enseignements (Martin, Milhaud, etc.) et esthétiques (Hindemith, Schönberg, Webern, etc.), le jeune Karlheinz Stockhausen (1928-2007) devient un pionnier incontournable de l’après-guerre, déployant une intense activité théorique (dix-sept volumes d’écrits) et compositionnelle (plus de trois cent cinquante opus). Des œuvres comme Gruppen (1958) [lire notre critique du CD], Licht (son cycle de sept opéras élaborés entre 1977 et 2003), ou Helikopter-Streichquartett (1995) [lire notre critique du DVD] témoignent à elles seules de limites sans cesse repoussées. Pour exemple, Stockhausen évoque l’évolution nécessaire des formations instrumentales, dans un article publié en 1959 :

« Il suffit de considérer, ne serait-ce que superficiellement, les orchestres symphoniques actuels – on ne les appelle pas ainsi pour rien – pour s’apercevoir combien est funeste notre prédilection pour la grandeur héroïque du passé et à quel point notre culture musicale est celle d’un vieillard qui n’a plus guère le courage du présent » (Musique dans l’espace in Comment passe le temps, Contrechamps, 2017) [lire notre critique de l’ouvrage].

En ce qui concerne Inori, créé aux Donaueschinger Musiktage le 18 octobre 1974, exceptées six contrebasses vibrantes, les cordes typiques d’une tradition honnie ne sont pas mises en avant, formant un écrin discret pour les bols tibétains placés à l’avant-scène. Le relief de cette percussion clarteuse, secondée par les métallophones, contraste avec le ronflement granuleux des cuivres omniprésents (cors, tuba, trompette bouchée). Ici ou là se distinguent aussi des notes de piano ou des volutes de flûtes, lorsque l’orchestre s’apaise de loin en loin, moins inquiet ou extatique. Aguerri au répertoire contemporain [lire notre chronique du 23 juin 2017], Gergely Madaras dirige sans faillir l’excellent Orchestre de l’Académie du Festival de Lucerne.

Œuvre développée à partir d’une formule originelle, Inori – un terme japonais signifiant prière, invocation, adoration – intègre deux danseurs-mimes. Assis, agenouillés ou debout sur une plate-forme au-dessus des bols résonnants, Jamil Attar et Emmanuelle Grach affichent treize gestes de prière, en écho aux treize hauteurs de la Gestalt évoquée. À de rares exceptions, leurs postures sont identiques : main en coupe derrière l’oreille, paumes offertes ou soudées, bras croisés sur la poitrine, etc. Le départ du couple se fait lentement par les gradins derrière la scène, accompagné par un seul instrument – sorte de chekeré au son métallique de tambourin.

Ce n’est pas la première fois que l’on joue Inori à Paris. Il y a quelques années, avec un luxe de détails musicologiques, notre collègue Jorge Pacheco rendait compte d’une soirée où se produisait Alain Louafi, le danseur originel [lire notre chronique du 10 février 2012].

LB